MELCHIOR LAURITZ (1890-1973)
La sagesse, clé de la longévité
La fantastique longévité de sa carrière, remarquable par la fraîcheur de moyens restés insolemment intacts, témoigne qu'il était déjà, à son époque, l'exception. Lauritz Melchior naît à Copenhague le 20 mars 1890 (le même jour que Beniamino Gigli). Formé comme baryton, il débuta dans Silvio (Paillasse de Ruggero Leoncavallo), le 2 avril 1913, à Copenhague. De charmants disques de cette époque nous ont gardé un souvenir de lui dans ce répertoire, juvénile, charmeur, brillant. Il retravailla sa voix avec le ténor danois Vilhelm Kristoffer Herold, et se retrouva ténor à partir de 1918, toujours attaché à l'Opéra de Copenhague, mais ses moyens débordant, eux, de plus en plus son répertoire. Il sut franchir le pas, et ne pas compter trop sur sa seule stature herculéenne et ses moyens gigantesques. Il eut la rarissime sagesse de s'arrêter complètement presque trois ans, travaillant son futur emploi de ténor wagnérien avec Ernst Grenzebach à Berlin et Anna Bahr-Mildenburg – l'Isolde de Gustav Mahler à la Hofoper de Vienne – à Munich. Cette prudence est plus exceptionnelle encore que ses dons.
Aussi ses débuts en Siegmund à Covent Garden, le 14 mai 1924, sous la direction de Bruno Walter, furent-ils simplement fracassants. Bayreuth suivit ce même été (Siegmund et rôle-titre de Parsifal), et Melchior devait y être l'indispensable héros des festivals jusqu'à la fin de l'ère Siegfried et Cosima Wagner, c'est-à-dire en 1931. Avec Nanny Larsén-Todsen et Frida Leider en Brünnhilde et Isolde, il formait le couple héroïque idéal.
Avec Tannhäuser, en février 1926, Lauritz Melchior inaugurait au Metropolitan Opera de New York un plein quart de siècle de triomphes, record d'endurance sans doute plus impressionnant encore que la statistique quantitative de ses performances. Également fêté à Berlin, Paris ou Hambourg, Melchior ne s'aventure qu'exceptionnellement hors du territoire wagnérien, dans Le Prophète de Meyerbeer (Jean de Leyde), Aïda de Verdi (Radamès) ou Fidelio de Beethoven (Florestan). Cependant son Otello monumental est resté légendaire. Artistiquement, le sommet de la carrière de Melchior ne se situa sans doute ni à Bayreuth ni à New York mais à Londres, où il donna, quinze ans durant, des Ring ou des Tristan avec des chefs comme Bruno Walter, Wilhelm Furtwängler ou Thomas Beecham, et avec des partenaires d'aussi haut rang que Frida Leider, Gertrude Kappel, Germaine Lubin, Lotte Lehmann. Avec cette dernière, Melchior enregistrait en 1936, à Vienne, sous la direction de Bruno Walter, un premier acte de La Walkyrie qui est un classique absolu du disque. Mais c'est avec Kirsten Flagstad que Melchior inaugurait, au milieu des années 1930, une association musicale de géants qui allait, à elle seule, définir un âge d'or.
Un considérable héritage discographique en 78-tours (disponible sur disques compacts) a préservé, dans toute sa fraîcheur, le timbre héroïque et enthousiaste, et l'irréprochable ligne de chant d'un artiste aux moyens d'une facilité presque monstrueuse, qu'on a pu prétendre médiocre musicien et acteur à cause de cette même facilité. Les enregistrements scéniques ont fait justice de cette calomnie en révélant la surprenante régularité et la discipline souveraine de cette personnalité hors du commun lors d'innombrables soirées de Londres ou de New York, généralement avec Flagstad. Melchior chantait les héros de Wagner avec une poésie, une musicalité, une ligne, une plasticité vocales et, évidemment, une endurance exceptionnelles. De presque tous ses rôles, il nous reste des documents sonores qui attestent ce que peut la nature lorsque la volonté, l'ascèse et trois ans de patience lui préparent ses vraies voies.
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Écrit par
- André TUBEUF : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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Média