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LAUTRÉAMONT ISIDORE DUCASSE dit COMTE DE (1846-1870)

Les « Poésies »

La suite de son œuvre le verra réintégrer son patronyme, comme si, dès lors, plus rien n'était à cacher. C'est, en effet, le parti pris de « la vertu, de la certitude, de l'espoir, du bien, du devoir, de la foi, de la froideur du calme et de la modestie » qu'il prétend embrasser désormais. Il serait imprudent de penser qu'une telle palinodie ne lui fût inspirée que par les reproches paternels accusant l'outrance de son précédent ouvrage. Les Poésies sont formées de fascicules où l'on chercherait en vain quelque vers que ce soit. On y trouve, en revanche, une abondante leçon de littérature et de morale, portant davantage, il est vrai, sur les principes que sur leur mise en application, contrairement au bref roman naguère narré et déconstruit.

Le premier fascicule passe au crible la littérature romantique, ses pleurnicheries, son emphase. De grandes listes hilarantes coiffent de sobriquets risibles les plus grandes célébrités et l'abondant bric-à-brac terrifiant ou douloureux des œuvres majeures de ce temps. Tout est scruté avec acrimonie : épopée, roman, poésie lyrique, éloquence.

Ducasse, devenu censeur des mélancolies, en profite pour corriger quelques phrases de l'une de ses strophes. Dans le second fascicule domine la maxime corrigée ou détournée. Recopiant des Pensées de Pascal ou de Vauvenargues, il les modifie dans le sens du bien, par simple addition ou retranchement de négations. Alors que les Chants paraissaient, en dépit de leur singularité, illustrer un projet évident nourri de satanisme et de cruauté, les Poésies, revendiquant l'ordre et la clarté, laissent perplexe quiconque souhaite les mettre en corrélation avec l'œuvre qui les précéda. Cependant tout lecteur attentif remarque vite qu'ici comme là résonne la même intensité de sarcasme, le même souci critique. Cette constante profonde traduirait donc l'unique et forte volonté de Ducasse, habile à proférer par une double voix un même combat contre la veulerie humaine, l'intelligence moyenne, la bêtise de la soumission. Dans l'un et l'autre cas, une lucidité souveraine s'exprime, rêvant, quitte à le détruire, à une science du texte, où le recours circonstanciel à la physique, aux mathématiques, à la géométrie, à la physiologie est d'ailleurs partout repérable. La lutte exaltante et sombre est menée dans les Chants par un surhomme libérateur, détruisant toute vision moyenne, sentimentale et attendrie, mais l'expression reste captive de l'emphase du romantisme fuligineux, même si elle sait en tirer d'évidentes beautés. Les Poésies qui, elles, procèdent d'une manière diamétralement opposée, retrouvent cependant la même insolence à proclamer, cette fois, le bonheur humain. L'histoire de la littérature et de la philosophie montreront de semblables opérations d'apparence contradictoire : Rimbaud dans Une saison en enfer injuriant, puis saluant la beauté ; Nietzsche s'opposant aux ombres wagnériennes qu'il aimait et leur préférant la clarté de la Carmen de Bizet.

Oubliés, puis redécouverts – comme on l'a vu –, Les Chants de Maldoror, plus ou moins assimilés au monde baudelairien, ont d'abord été admirés pour leur frénétisme et leur luxuriance par Léon Bloy (La Plume, 1890) qui n'en a pas moins placé leur auteur au « cabanon de Prométhée » ; Huysmans, Gide en ont loué certains épisodes. Remy de Gourmont a mesuré l'incohérence de cet « esprit malade » où il pressentait aussi un « ironiste supérieur ». Dès 1893, Jarry et Léon-Paul Fargue se donnent comme des sectateurs du Montévidéen. Jarry, surtout, dans sa pièce Haldernablou, recueillie dans son premier livre Les Minutes de sable mémorial, rend hommage à cet univers « pataphysique » avant la lettre et à l'homosexualité[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres classiques, docteur d'État, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, professeur de littérature française à l'université de Nantes

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Autres références

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