LAWRENCE D'ARABIE, film de David Lean
Une œuvre sévère aux proportions gigantesques
Lawrence d'Arabie (Lawrence of Arabia) est avec Le Docteur Jivago (Doctor Zhivago, 1965), la plus grande réussite visuelle de David Lean. Il faut bien sûr accepter la convention d'un Anthony Quinn en chef arabe et d'un Alec Guinness en roi Faysal Ier. Le film adopte aussi le classique et agaçant schéma du film colonialiste, où un Européen en remontre à des « indigènes » sur le plan de l'endurance physique et de la connaissance du terrain, puis leur donne en prime des leçons d'humanité et de volonté. Ici, Lawrence oppose au « c'était écrit » des fatalistes musulmans un « rien n'est écrit » qui les impressionne. Il se montre courageux, mais a des états d'âme quand il doit tuer, ce que n'ont pas les cruels Arabes, etc. Au-delà de ces clichés du cinéma colonial – que d'autres films, notamment ceux très respectueux de James Ivory, ont remis en question – il faut voir les exceptionnelles qualités de cette superproduction.
La construction, sur une arche du type ascension et décadence, gloire et vanité, en est magistrale. La première partie, où se trouvent les séquences les plus marquantes, agit comme un crescendo, où des instruments se joindraient peu à peu au groupe : un méhari, deux, trois, dix... Les quarante premières minutes s'attachent à un nombre restreint de personnages évoluant dans un cadre gigantesque, celui du désert, qui est le héros du film. La seconde partie se concentre sur les « états d'âme » de Lawrence, personnage fascinant tant que ses motivations et son passé nous restent impénétrables. La dernière image du film montre son visage inexpressif derrière le pare-brise d'une jeep, s'effaçant dans l'immensité.
Format qui fut, dans les années 1960, le support de quelques chefs-d'œuvre, comme Playtime, en 1967, de Jacques Tati, ou 2001 : l'Odyssée de l'espace (2001 : a Space Odyssey), en 1968, de Stanley Kubrick, le 70 mm a trouvé grâce aux yeux de David Lean dès 1962. Son sujet de prédilection : le vide, le désert. Une trouvaille de raccord subtilement préparée, entre la flamme fragile d'une minuscule allumette frottée par Lawrence dans un bureau militaire et le plan général du désert où se lève un soleil rougeoyant, dit tout sur cette dissolution de l'échelle humaine : trop petit, ou trop grand. Stanley Kubrick se souviendra de ce changement d'échelle pour le fameux raccord de 2001 : l'Odyssée de l'espace où à un os jeté par un singe s'enchaîne, des millions d'années après, un vaisseau spatial futuriste. Les prises de vues soulignent l'insignifiance de l'homme dans un paysage gigantesque et indifférent. L'œuvre abonde aussi en effets de surgissement : un bateau sur le canal de Suez alors que l'on est en plein désert, l'attaque d'un train prise en pleine action, après de longues discussions de bureau – effets dont le corollaire est la disparition absolue, le retour au vide.
Avec ses yeux clairs, Peter O'Toole incarne formidablement une sorte de volonté pure qui confine à l'absurde. Ce premier rôle fit de lui une vedette, mais, à l'image de son personnage, ne retrouvant jamais un rôle aussi puissant, il s'effaça dans une carrière terne. En revanche, Omar Sharif, l'Égyptien, se préparait à interpréter le Docteur Jivago, le film suivant du réalisateur, tandis qu'Anthony Quinn campe un Arabe fruste et pittoresque dans la tradition de ses innombrables rôles de Mexicain, Esquimau, Grec... Cette caractérisation conventionnelle, fidèle à celle des mélodrames muets, est bien sûr moins équilibrée que complétée par la façon dont Alec Guinness compose, non sans ironie, un roi Faysal Ier cultivé, raffiné et fourbe.
Considéré à l'époque comme un représentant du « vieux cinéma[...]
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Écrit par
- Michel CHION : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III
Classification
Média
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