DURRELL LAWRENCE (1912-1990)
Irlandais comme James Joyce, né aux Indes comme Rudyard Kipling, diplomate comme Saint-John Perse, Lawrence Durrell est à la fois un romancier et un poète. C'est aussi un essayiste.
Il abandonne ses études à dix-sept ans. Sa vie, pendant les années trente, jusqu'à la guerre, sera celle d'un « beatnik » avant la lettre. Il exerce plusieurs métiers : pianiste, photographe, et il publie ses premiers poèmes : Fragment original (Quaint Fragment, 1931), Ballade de la décomposition lente (Ballad of Slow Decay, 1931), Dix Poèmes (Ten Poems, 1932). Toujours à la recherche du soleil, à défaut de retrouver celui de son enfance, il se dirige vers la Méditerranée, et aboutit à Corfou, qui devient l'un des pôles d'attraction de sa vie : il y retournera, il y écrira, il en parlera dans L'Île de Prospéro (Prospero's Cell, 1945). Il voyage ensuite en Europe, surtout en France et en Italie, et rencontre Henry Miller à Paris en 1937. Puis Lawrence Durrell retourne à Londres, où il publie, sans grand succès, deux romans : Pipeau bariolé des amants (Pied Piper of Lovers, 1935) et Printemps ou Tremplin d'épouvante (Panic Spring, 1937). Enfin, avec Le Carnet noir (The Black Book) publié à Paris en 1938, Lawrence se libère de ses obsessions, en particulier de la grisaille britannique qu'il appelle « la mort anglaise », et s'émancipe de l'influence d'Henry Miller. Le Carnet noir est une œuvre étrange et difficile à classer, une sorte de catharsis lyrique et diffuse, qui n'est pas sans parenté, par sa révolte, avec les angoisses des écrivains américains de San Francisco et de Greenwich Village de cette époque.
Lors de la déclaration de guerre, il se trouve en Grèce à nouveau, à Corfou. Nommé attaché de presse à Athènes, il va au Caire, puis à Alexandrie, qui sera son second pôle d'attraction. C'est là qu'il situera sa fameuse tétralogie : Le Quatuor d'Alexandrie.
Il continue d'écrire et de publier de nombreux poèmes : Un pays privé (A Private Country, 1943), Cités, plaines et gens (Cities, Plains and People, 1946), Présomptions (On Seeming to Presume, 1948), Deus loci (1950). Mais il se lance aussi dans un genre nouveau, les récits de voyages, ou plutôt de séjours, le plus souvent à propos d'une île méditerranéenne : Corfou, avec l'Île de Prospéro ; la Crète, avec Cefalù, 1947 (qui est cette fois-ci un vrai roman), et plus tard, en 1953, Rhodes, avec Vénus et la Mer (Reflections on a Marine Venus). Ces œuvres, à mi-chemin entre la poésie et le roman, révèlent un grand talent d'évocation des lieux, des paysages et des personnages. Plus que les êtres, ce sont les lieux, les dei loci, qui importent.
En cela, ces récits poétiques préfigurent le fameux Quatuor d'Alexandrie. En effet, Justine (1957), Balthazar (1958), Mountolive (1958) et, enfin, Cléa (1960) composent comme les mouvements d'un « quatuor » complexe, où les événements et les personnages foisonnent, reflétant le grouillement de la ville d'Alexandrie, véritable sujet de la tétralogie. C'est à Alexandrie en effet, dans le fourmillement de ses bas-fonds, dans la valse élégante de ses diplomates, parmi les complots où rivalisent Anglais, Juifs, Arabes, Coptes et d'autres encore, que se noue, pendant la Seconde Guerre mondiale, le destin des héros.
Mais l'ambition de Durrell est plus vaste que celle, modeste, de décrire simplement une ville, si grouillante fût-elle, à travers son atmosphère et la psychologie de ses habitants.
Avec une audace et une virtuosité technique (sur laquelle il attire lui-même l'attention dans sa préface à Balthazar), il cherche à découvrir une forme romanesque nouvelle, « appropriée à notre époque, qui mériterait le nom de classique ». Ainsi, en quête de « l'amour moderne », Durrell décide de s'inspirer de la théorie de la relativité,[...]
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Écrit par
- Ann Daphné GRIEVE : agrégée de l'Université, maître assistant à l'université de Paris-VII
Classification
Autres références
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