LAZARILLO DE TORMES (1553/54)
La Vie de Lazarillo de Tormes – un tout petit volume anonyme – est grande par son originalité et par son rôle dans la naissance du roman (le « picaresque » espagnol et le roman moderne en général).
Pour qui donne à la négation de la honra (« honneur » au sens de considération sociale) la place qui lui revient dans l'esprit du picaresque, nul doute que le génial épisode vécu par Lazare avec l'escudero ne fasse de son auteur un pionnier. Il l'est aussi par son art « illusionniste » (F. Rico) qui révèle les ressources de la forme autobiographique, cadre que le roman picaresque espagnol lègue au Gil Blas de Lesage, au Moll Flanders de Daniel Defoe et à tout le roman moderne.
L'aventure picaresque
Un pauvre homme raconte sa vie à un homme de la bonne société. Lazare (chap. i) est né près de Salamanque dans un moulin du Tormes où son père, muletier du village voisin, apportait le grain à moudre. Coupable d'en soustraire, condamné à l'exil, le père meurt au cours de l'expédition de Djerba, où il soigne l'équipage d'un gentilhomme. La mère veuve est, à Salamanque, cuisinière et lavandière, et devient la concubine d'un esclave, palefrenier dans le voisinage. Elle ne tarde pas à confier Lazare à un aveugle qui cherche un guide. Le gamin apprend avec lui à mendier, mais aussi à ruser et à tromper dans la lutte pour la vie. Il abandonne ce premier maître fort brutalement. Le second (chap. ii) sera un prêtre avare de Maqueda, avec qui Lazare doit encore lutter d'astuce pour ne pas mourir de faim. Chassé, il vit quelque temps à Tolède (chap. iii), au service d'un écuyer famélique et digne qui le déconcerte par sa superstition de l'« honneur », mais dont le dénuement le touche : il en vient à le nourrir en mendiant. Cet hidalgo lève le pied un jour que le propriétaire fait saisir le mobilier du logis, qui se réduit à un grabat. Lazare accompagne quelques jours (chap. iv) un moine quêteur de la Merci, puis sert (chap. v) un prédicateur de bulles de la Croisade, dont il perce à jour l'art de tromper le peuple. Après avoir servi encore un peintre en tambourins, le jeune homme (chap. vi) accède à la fois à l'âge adulte et à une demi-autonomie en travaillant quatre ans à forfait comme porteur d'eau à Tolède pour le compte d'un prêtre de la cathédrale qui lui a confié quatre cruches, un âne et un fouet. Ayant de quoi acheter à la friperie des habits décents et une vieille épée, il devient (chap. vii) valet d'un alguazil. Enfin il a la chance de trouver un métier plus pacifique et plus stable qui est « office royal », mais le plus plébéien : celui de crieur public. Un de ses clients, archiprêtre de San Salvador, dont il « crie » les vins, le mène au sommet de son ascension sociale en lui faisant épouser sa servante. La félicité de Lazare – qu'il date lui-même des Cortès que Charles Quint tient à Tolède – repose sur le ferme propos de rester sourd à tous les méchants bruits qui courent sur son ménage.
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Écrit par
- Marcel BATAILLON : ancien élève de l'École normale supérieure, membre de l'Institut, administrateur honoraire du Collège de France
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