LAZARILLO DE TORMES (1553/54)
Une intention critique ?
En 1554 sont publiées, à Burgos, Alcalá et Anvers, trois éditions, dont la deuxième, datée du 26 février, « corrigée et augmentée en cette seconde impression », contient des interpolations inégalement heureuses. On peut penser que le petit livre eut dès 1553, à Anvers ou ailleurs, une première édition aujourd'hui perdue (celles de Burgos et d'Alcalá sont sauvées par des exemplaires uniques). L'hypothèse (récente) qu'il ait circulé dès 1526 environ manque de base.
Quand l'œuvre a été redécouverte au xixe siècle après un assez long oubli, on a voulu en faire une critique de la vie sociale et religieuse de l'Espagne du xvie siècle. La forme autobiographique du récit paraissait une « ficelle » banale reliant les aventures successives du « valet aux nombreux maîtres ».
Plus intéressants que ce narrateur naïf et incisif à qui l'auteur prêtait sa plume étaient les maîtres, notamment ceux qu'il mettait longuement en cause même si le temps passé par Lazare en leur compagnie était court. A. Morel-Fatio forçait la note en suggérant que la « trilogie » de l'aveugle, du prêtre et du pauvre gentilhomme représentait, « en raccourci, la société espagnole du xvie siècle », ramenée aux « trois types du gueux, de l'homme d'Église et de l'homme d'épée ». On était frappé par l'anticléralisme de plusieurs épisodes, qui avait fait mettre Lazarillo de Tormes à l'index (1559). Le même hispaniste se demandait si l'auteur n'appartiendrait pas au cercle des frères Alfonso et Juan de Valdès, disciples espagnols d'Érasme : Alfonso avait écrit un dialogue des morts d'inspiration lucianesque (Mercure et Charon, également prohibé par l'Inquisition) qui passait en revue les divers « états » de la société. L'idée d'une inspiration valdésienne, ou d'une « spiritualité » érasmienne du Lazarillo de Tormes reste vivante chez certains critiques (M. J. Asensio, F. Márquez), en même temps que l'attitude de Lazare face à la religion et à l'« honneur » est un des grands arguments d'Américo Castro pour admettre que l'auteur est un « nouveau chrétien » d'origine juive.
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Écrit par
- Marcel BATAILLON : ancien élève de l'École normale supérieure, membre de l'Institut, administrateur honoraire du Collège de France
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