LE BEAU SERGE, film de Claude Chabrol
Un film naturaliste
Le scénario est assez mélodramatique. Il oppose deux anciens amis, figures du « rat des villes et du rat des champs » que Chabrol reprend dans son deuxième film, Les Cousins, avec les mêmes acteurs, Jean-Claude Brialy et Gérard Blain. François est l'étudiant sage, un peu timide et il veut aider les autres. Serge a sombré dans l'ivresse par désespoir et solitude. Les deux femmes, Yvonne et Marie, correspondent aux archétypes de l'épouse vertueuse et de la fille facile. Le récit est souvent symbolique et reprend la structure de la parabole chrétienne. François est une figure christique assez évidente et Serge, taciturne et mal rasé, a le sombre visage d'une créature du diable.
Le scénario n'est donc pas novateur. C'est, en revanche, le cas de la description de la vie du village, de l'utilisation de décors réels et de figurants non professionnels que le réalisateur a su parfaitement intégrer aux acteurs professionnels. En cela, Chabrol retient les leçons du néo-réalisme italien et s'inspire des leçons rosselliniennes, mais aussi du célèbre Farrebique (1946) de Georges Rouquier. Néanmoins, sa peinture à gros traits rejoint un certain naturalisme bien français, celui de Guy de Maupassant et de Claude Autant-Lara. Ses paysans de la Creuse sont plus souvent montrés attablés au café, où ils boivent du gros rouge, qu'occupés par les travaux des champs. Par contre, il montre avec une réelle précision descriptive l'arrivée de l'autocar sur la place du village lors du voyage de François, les rues qui entourent l'église, les enfants de l'école qui jouent, le cimetière que traverse François, les intérieurs de fermes pauvres et, bien entendu, les cafés.
Chabrol est plus heureux lorsqu'il décrit l'univers des jeunes bourgeois parisiens des Cousins. Il y est aidé par son scénariste, Paul Gégauff, au ton nettement plus sarcastique. La réussite de ce deuxième film tient également à l'inversion réussie des rôles. Jean-Claude Brialy est nettement plus à l'aise en jeune Parisien provocateur et misogyne et Gérard Blain compose un provincial timide avec plus de nuances que l'ivrogne luciférien du Beau Serge.
C'est dans ce film que Bernadette Lafont incarne pour la première fois le rôle d'une « Marie couche-toi là », rôle qui la poursuivra jusqu'à Une belle fille comme moi (1972) de François Truffaut et, bien entendu, La Maman et la Putain (1973) de Jean Eustache, dans lequel elle se nomme Marie.
Chabrol prend le soin de confier les rôles secondaires à des figures du cinéma français des années 1950, Claude Cerval dans le rôle du curé et Jeanne Perez dans celui de l'aubergiste ; mais la critique retiendra les trois jeunes acteurs promis à une belle carrière cinématographique, Jean-Claude Brialy, Gérard Blain et Bernadette Lafont.
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Écrit par
- Michel MARIE : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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