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LE BONNET DE FOU et SIX PERSONNAGES EN QUÊTE D'AUTEUR (L. Pirandello)

Deux pièces de Luigi Pirandello ont été représentées simultanément en octobre 1997, à Paris (Théâtre de l'Atelier) et à Villeurbanne (T.N.P.) Si Le Bonnet de fou (mise en scène de Laurent Terzieff) est fort peu connu, il n'en va pas de même pour Six Personnages en quête d'auteur (mise en scène de Jorge Lavelli), dont la création parisienne par Georges Pitoëff en 1923, dans une traduction de Benjamin Crémieux, a fait date. On est donc ici en présence de deux œuvres fort différentes : la première étant une véritable découverte, la seconde un classique aux thèmes inépuisables.

Le Bonnet de fou, dernière des quatre pièces écrites par Pirandello dans le dialecte d'Agrigente, fut créé à Rome en 1917. Laurent Terzieff la joue dans l'adaptation de Michel Arnaud. Spécifiquement sicilienne, ancrée dans les mœurs hautement codifiées qui régissent vie privée et vie publique, et riche en rebondissements, la pièce tient en éveil la curiosité. Le décor d'André Acquart représente la façade sur rue de la demeure du cavaliere Fiorica, hauts murs nus le long desquels le regard ne peut que glisser. Mais tout de suite, nous voici dans le salon cossu, fermé en fond de scène par une longue allée vitrée donnant sur un jardin. On verra entrer et sortir par là familiers et visiteurs plus ou moins désirés, mais jamais le maître de maison, parti en voyage d'affaires. Sa femme, jalouse de sa liaison avec la jeune épouse du vieux Ciampa, son employé aux écritures, veut se venger en provoquant un scandale : elle projette de porter sur la place publique le double adultère. Personne ne peut comprendre cela : nourrice, frère, mère, tous tentent de l'en dissuader. En Sicile, en effet, les hommes peuvent se permettre ce genre d'écarts, et personne n'est censé le savoir, surtout pas le mari trompé ; il y va de l'honneur de tous. Les femmes acceptent, endurent. Mais pas Madame Béatrice, qui ose même exiger du commissaire Spano qu'il poursuive le coupable. Ami de la famille, Spano fait tout pour qu'elle renonce à son projet, mais il lui faut obtempérer. Truqué, le piège tendu pour un flagrant délit d'adultère tourne à la farce. Modèle d'esquive, le procès-verbal rétablit le consensus : il ne s'est rien passé, jamais. Reste, et c'est le point crucial, la situation de Ciampa, le mari trompé.

Dans l'affaire ainsi montée, nul n'a tenu compte de lui. Or cet homme qui dépend de son patron – et c'est alors, en Sicile, être vassalisé – n'est pas le bonasse mari complaisant qu'on pouvait croire. Le loi du silence l'autorisait à garder la tête haute, mais, si le tabou est violé, son honneur entaché ne peut être lavé que dans le sang. Plus fort que Madame Béatrice, il s'assure par le chantage au meurtre la complicité de la famille Fiorica, et celle qui clame la vérité est finalement déclarée folle. Coiffée du bonnet de fou, elle peut le traiter de cocu : ça ne compte pas ! Le mur d'enceinte de la maison se referme sur l'insensée ainsi neutralisée.

Tant de casuistique donne lieu à des scènes d'un comique aussi subtil que cocasse, mêlées à d'autres qui provoquent l'émotion. La morale de l'histoire est que celui qui veut faire triompher la vérité est au plus près de la folie. Béatrice l'illustre par l'hystérie où la jette son désespoir de vaincue (Madeleine Assas, à la belle énergie brisée). Quant à Ciampa (Laurent Terzieff), il laisse ressentir sa souffrance de mari épris, mais trop âgé. Il joue le bouffon tragique avec une jubilation désespérée, à la torture quand il tente de déjouer le piège, puis, aux abois, risquant le tout pour le tout, et y puisant audace et assurance. À la fois metteur en scène et protagoniste, Laurent Terzieff ne peut que se louer de son entourage de comédiens de talent : Madeleine Assas, Pascale de Boysson, Philippe Laudenbach,[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, critique dramatique de Regards et des revues Europe, Théâtre/Public, auteur d'essais sur le théâtre

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