LE BOURGEOIS GENTILHOMME, Molière Fiche de lecture
Le Bourgeois gentilhomme est créé le 14 octobre 1670 à Chambord dans le cadre d’une fête de cour, puis joué régulièrement au Palais-Royal à partir du 23 novembre de la même année. Neuvième collaboration entre Lully et Molière dans le genre de la comédie-ballet, et la septième avec Pierre Beauchamp pour les ballets, elle consacre le projet d’un spectacle total mêlant chant, danse, musique et chorégraphie, à la fois dans les intermèdes et au sein de la pièce. Comme pour tout spectacle de cour, la comédie, la splendeur et le faste esthétisent habilement les enjeux politiques et sociaux qui déterminent, en réalité, la structure et les thématiques de la pièce.
Le programme de la fête présente une pièce originellement en trois actes, composée de plusieurs intermèdes spectaculaires chantés et dansés, et d’un grand « Ballet des nations » qui clôt l’ensemble. La version que nous connaissons aujourd’hui, en cinq actes, est imprimée le 18 mars 1671. Il s’agit probablement de la version donnée au Palais-Royal qui, d’une fête de cour, consacre une grande comédie.
L’action s’organise autour du personnage de Monsieur Jourdain, bourgeois « dont les lumières sont petites », qui rêve d’ascension sociale. Pour cela, il s’entoure de professeurs de danse, de chant, de philosophie, qui tentent de lui inculquer leurs arts respectifs. Il s’entiche d’une belle marquise, laquelle s’organise avec son galant pour détrousser M. Jourdain, en le convainquant qu’il est du devoir des gentilshommes d’être libéraux. Souhaitant que sa fille épouse un aristocrate, M. Jourdain refuse le parti raisonnable qu’elle a choisi. Son obsession ridicule l’amène finalement à être couronné lors d’une cérémonie parodique dans laquelle les protagonistes se déguisent en « Turcs » et le font « mamamouchi », afin de lui faire croire qu’il marie sa fille à un haut dignitaire ottoman.
L’étranger sur scène : une pièce politique
La construction de la pièce est toute tournée vers cette « cérémonie des Turcs » composée de douze chanteurs, de seize danseurs et d’instruments « à la turque ». Mettre en scène des « turqueries » n’a rien de nouveau en soi : le principe traverse la littérature, les ballets et le théâtre du xviie siècle. Dans le cas du Bourgeois gentilhomme, toutefois, Molière s’inspire d’un événement précis, à savoir la visite de Soliman Aga, émissaire de l’Empire ottoman. Son séjour d’un an en France (du 4 août 1669 à la fin du mois d’août 1670) a fait l’objet de multiples relations dans les gazettes du temps et les récits particuliers. La cérémonie turque s’inspire en particulier d’un incident diplomatique advenu lors de l’audience de Soliman Aga devant Louis XIV et des comportements excentriques qu’il aurait affichés tout au long de sa visite. Ces péripéties, qui ont déjà fait rire le roi et sa cour, constituent ainsi le matériau comique d’actualité idéal.
Mais comment intégrer cette grande cérémonie burlesque turque à une comédie ? Le désir irraisonné d’ascension sociale de M. Jourdain offre un chemin tout trouvé vers ce final. Le sujet était alors dans l’air du temps. Non seulement il avait fait l’objet de plusieurs comédies, de nouvelles et de réflexions dans les manuels de civilité, mais il avait tout récemment été traité dans une historiette de Jean Donneau de Visé, alors collaborateur de la troupe du Palais-Royal. Dans L’Amour échappé, un recueil paru moins d’un an plus tôt, le 12 novembre 1669, la nouvelle intitulée « Manière d’aimer des bourgeois » racontait l’histoire d’un jeune homme essayant de reproduire la magnificence d’une fête de cour pour charmer sa maîtresse, mais se ridiculisant à chaque étape.
Tant le sujet que la composition de la pièce sont indissociables du contexte sociopolitique dont [...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Christophe SCHUWEY : maître de conférences, université Bretagne sud, Lorient
Classification
Autres références
-
COMÉDIE-BALLET
- Écrit par Philippe BEAUSSANT
- 732 mots
- 1 média
L'histoire de la comédie-ballet est fort courte : onze ans à peine, 1661-1672. Elle naît, en apparence, par hasard : lors de la fête de Vaux donnée par Fouquet (août 1661), afin de donner aux danseurs le temps de se changer entre les « entrées » du ballet, on intercale...
-
LULLY JEAN-BAPTISTE (1632-1687)
- Écrit par Philippe BEAUSSANT
- 2 185 mots
- 3 médias
...par l'alliance de deux génies comiques complémentaires qui se sont entraidés et influencés l'un l'autre, tous deux passionnés par la comédie italienne et capables de paraître en scène : dans Le Bourgeois gentilhomme, par exemple, Molière interprétait M. Jourdain, face à Lully en Grand Muphti.