Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LE BRUIT ET LA FUREUR, William Faulkner Fiche de lecture

William Faulkner - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

William Faulkner

Comme Sartoris (1929), Le Bruit et la fureur (1929) se déroule à Jefferson, chef-lieu du Yoknapatawpha County, le comté imaginaire du Mississippi où William Faulkner (1897-1962) a situé l'action de la plupart de ses romans. Après les Sartoris, il met en scène les Compson, une de ces familles d'anciens planteurs qui ont dominé la société du Sud des États-Unis jusqu'à la guerre de Sécession, avant de céder la place à une nouvelle classe de propriétaires terriens et de marchands dans le Nouveau Sud des années 1920. Malgré cette continuité thématique, Le Bruit et la fureur marque une révolution dans l'écriture de Faulkner comme dans l'histoire du roman moderne – au même titre qu'Ulysse de James Joyce (1922), romancier que Faulkner admirait.

Un récit à quatre voix

En effet, l'histoire de la famille Compson est ici racontée successivement par quatre narrateurs : un idiot de trente-trois ans, Benjy Compson ; son frère, Quentin Compson, qui s'est suicidé dix-huit ans plus tôt ; son autre frère, Jason Compson ; enfin, un narrateur extérieur à l'histoire. Au fil de ces narrations, le texte se rapproche des techniques romanesques traditionnelles : le lecteur comprend rétrospectivement des situations qui lui ont été d'abord présentées sous une forme opaque, partiale, ou fragmentaire.

Le premier monologue est le plus difficile à lire, et le plus passionnant : le texte de Faulkner prête une voix intérieure à un idiot muet, et nous permet d'imaginer le monde à travers son regard. Le titre du roman, emprunté au Macbeth de Shakespeare, suggère que ce monologue est une « histoire pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot et qui ne signifie rien ». De fait, le récit ne respecte pas la chronologie et passe abruptement des scènes présentes (où Benjy souffre de l'absence de sa sœur bien aimée Caddy) aux scènes de l'enfance (lorsque Caddy était encore là). De plus, une syntaxe pauvre ou elliptique signale l'irruption d'expériences qui échappent au langage articulé. Dans le deuxième monologue, Quentin Compson, étudiant à Harvard, ressasse sa fascination incestueuse pour Caddy et sa haine pour ses rivaux. Le récit, ici encore, hésite entre présent et passé, entre discours construit et « courant de conscience » où l'afflux des images défie logique et chronologie ; Quentin multiplie les tentatives magiques pour annuler le temps : il arrache les aiguilles de sa montre, et finira par se suicider : « Il n'y a que lorsque la pendule s'arrête que le temps se remet à vivre. Les aiguilles étaient allongées, pas tout à fait horizontales. Elles formaient une courbe légère comme des mouettes qui penchent dans le vent. Contenant tout ce qui d'habitude m'inspirait des regrets, comme la nouvelle lune contient de l'eau, disent les Nègres. » Ensuite, c'est le troisième frère, Jason Compson, petit spéculateur, qui exprime sa peur de perdre l'argent investi dans le coton, ou de voir sa nièce échapper à son emprise, dans un discours hérissé d'imprécations racistes et sexistes qui se laisse parfois gagner par le désordre du « courant de conscience ». Le quatrième narrateur du roman, lui, introduit un double changement de perspective : extérieur à l'action, il place au premier plan la vieille servante noire dévouée, Dilsey, seule à maintenir un semblant de cohésion dans la famille Compson. Au cœur de cette quatrième partie, une messe pascale dans une communauté noire de Jefferson, où la voix du révérend Shegog s'élève, éveillant le sentiment d'un ordre éternel qui donnerait un sens à l'écoulement du temps. Pourtant, la perspective chrétienne de Shegog et de Dilsey ne coïncide pas avec le point de vue du narrateur. Le roman s'achève sur la figure de Benjy regardant un paysage où tout est revenu à sa place : un semblant d'ordre dépourvu de sens.[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégée d'anglais, titulaire d'une thèse de doctorat en littérature américaine, maître de conférences à l'université de Toulouse-II

Classification

Autres références

  • FAULKNER WILLIAM (1897-1962)

    • Écrit par
    • 3 309 mots
    • 1 média
    ...de Rowan Oak, la belle demeure sudiste bâtie sur un terrain acheté aux Indiens en 1836, et qu'il faudra beaucoup de séjours à Hollywood pour restaurer. Avec Le Bruit et la fureur, Faulkner ferme la porte au monde extérieur pour oser enfin la brusque plongée en lui-même, dans l'espace et le temps de sa...
  • MONOLOGUE, notion de

    • Écrit par
    • 1 411 mots
    ...1931), il trouve ses incarnations les plus marquantes chez des auteurs comme James Joyce (monologue de Molly Bloom dans Ulysse, 1922), Virginia Woolf ou William Faulkner (Le Bruit et la fureur, 1929 ; Tandis que j'agonise, 1930, construit en chapitres faisant se succéder, tour à tour, les monologues...
  • MO YAN (1955- )

    • Écrit par
    • 1 031 mots
    • 1 média
    ...livre à l'écriture romanesque, écrit-il en 1989, c'est pour moi comme si, un chant triste aux lèvres, je cherchais partout mon pays perdu. » En 1984, Mo Yan lit Le Bruit et la fureurde William Faulkner. C'est pour lui un éblouissement. Il parlera de cette rencontre en mars 2000 lors d'une conférence...
  • ROMAN, notion de

    • Écrit par
    • 1 940 mots
    • 4 médias
    ...d'autres, loin de privilégier la clarté, plongent le lecteur dans l'univers subjectif, parfois chaotique ou discontinu, de leur narrateur. Tel est le cas dans Le Bruit et la fureur (1929) de William Faulkner, où le lecteur est confronté à plusieurs styles selon que les événements sont dépeints à travers les...