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LE BUISSON ARDENT ET LES LUMIÈRES DE LA RAISON (J. Greisch)

La philosophie de la religion a mauvaise presse. Remise en question par la théologie au nom de la distance qu'elle prend avec son objet, elle est soupçonnée par la science religieuse et, plus généralement, les sciences humaines, d'une trop grande proximité avec la foi. C'est sans doute ce qui explique le relatif abandon d'une telle approche au cours de ces dernières décennies du xxe siècle, et cela en dépit du trop fameux « retour du religieux » dont on a fait ensuite l'emblème de notre époque.

Tout au long des trois tomes qui constituent l'ouvrage (Héritages et héritiers du xixe siècle, Le Cerf, 2002 ; Les Approches phénoménologiques et analytiques, ibid. ; Vers un paradigme herméneutique, ibid., 2004), c'est le premier mérite du travail considérable de Jean Greisch que de ne pas se cantonner à une démarche historique qui avaliserait l'inactualité de la philosophie de la religion. Certes, et le livre le montre bien, cette discipline est historiquement datée et géographiquement située : elle naît en Allemagne à la fin du xviiie siècle, plus précisément chez Kant et sur le fond de la ruine de la métaphysique, c'est-à-dire d'un savoir abstrait sur Dieu. Il fallait, en effet, renoncer à comprendre le divin comme un concept pour accorder une consistance philosophique aux religions positives, aux pratiques religieuses et aux formes de la croyance. Or la philosophie de la religion n'est rien d'autre que le projet de traiter rationnellement des religions dans leur existence concrète et historique.

Jean Greisch décrit avec patience les préalables d'une « religion dans les limites de la simple raison ». Son entreprise n'est pas pour autant historique, mais généalogique. Il s'agit d'analyser ce que la confrontation entre religion et philosophie porte de fécond pour chacune d'entre elles, et de montrer que le sens ne succombe pas devant la diversité apparemment irrationnelle des croyances religieuses. De ce point de vue, l'« invention » de la philosophie de la religion coïncide avec celle d'une nouvelle manière de philosopher capable de prendre en compte le statut d'un discours – celui de la foi et de ses pratiques – qui met en danger l'assurance de la raison. Certes, le « buisson ardent » et les « lumières de la raison » éclairent la réalité d'une manière distincte, et potentiellement adverse. Mais ils constituent aussi des foyers de sens et des expériences vives qui, sans que l'on cède par là à un quelconque syncrétisme, méritent d'être envisagés ensemble.

Du point de vue de la méthode, Jean Greisch distingue entre cinq paradigmes qui sont autant d'« idéals types » d'appréhension philosophique du phénomène religieux : les paradigmes critique, spéculatif, phénoménologique, linguistique et herméneutique. Chacun d'entre eux est dominé par un penseur : respectivement Kant, Hegel, Husserl, Wittgenstein et Paul Ricœur. Il serait illusoire de rendre compte de la richesse des analyses du livre, qui fait état d'une érudition toujours au service d'enjeux problématiques. Notons simplement que cette enquête permet de redécouvrir des auteurs souvent méconnus (comme Hermann Cohen, Paul Tillich, Henry Duméry ou Jean Nabert) et qu'elle fait autant place à des critiques et à des réserves qu'à un simple exposé de doctrine. C'est donc là un instrument de travail, unique en langue française, qui laisse une place à la discussion et dont les analyses sont avant tout exploratoires.

Mieux vaut se porter au dernier tome de cette entreprise, Vers un paradigme herméneutique, dans lequel Jean Greisch fait part de ses préférences et de ses choix. L'herméneutique est d'emblée définie comme « la théorie des opérations de compréhension impliquées dans l'[...]

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