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LE CAPITALISME D'HÉRITIERS (T. Philippon) Fiche de lecture

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« Contre le chômage, on a tout essayé. » Cet aveu de François Mitterrand reflétait le désarroi des décideurs face à une des spécificités de l'économie française : un taux de chômage durablement élevé. Les économistes, de leur côté, ont avancé de nombreuses explications à cet état de fait, dont une trop forte régulation du marché du travail. Si ces explications peuvent être pertinentes, elles ne permettent pas de clore le débat ni d'expliquer la majeure partie des variations empiriques de l'emploi et du chômage au sein des pays développés. Thomas Philippon se propose dans Le Capitalisme d'héritiers (2007) d'explorer une explication alternative : la qualité des relations au travail et, plus généralement, des relations sociales, particulièrement dégradées en France.

Comparés aux citoyens des autres pays développés, les Français ont une vision conflictuelle des rapports entre salariés et managers, et tendent à considérer le monde du travail comme un espace fondamentalement hostile. Au niveau international, le degré de coopération entre managers et employés apparaît très fortement corrélé à la satisfaction des salariés ainsi que, de façon moins attendue, au taux d'emploi au sein de l'économie. Mais d'où vient cette mauvaise qualité des relations au travail ? Selon l'auteur, il faut regarder du côté de la transmission des entreprises, et d'une forme bien particulière de capitalisme : le capitalisme d'héritiers.

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En s'appuyant sur des travaux sociologiques et historiques, Thomas Philippon montre de façon convaincante que, à l'origine de la qualité des relations sociales, on trouve le mode de gestion des conflits entre employeurs et salariés au moment de la révolution industrielle, ainsi que la plus ou moins grande mansuétude des États à l'égard du mouvement syndical. À la fin du xixe siècle, le mode de gestion des conflits était assez homogène, simple répression, parfois sanglante, des révoltes ouvrières, puis mise en place de structures paternalistes censées « faire des conflits industriels l'équivalent du parricide ». Cependant, si au tournant du siècle de nombreux pays, conscients de leurs limites, tournent le dos à ces méthodes et mettent en place une gestion professionnalisée, la France ne prend pas part à cette mutation, et les échelons supérieurs des entreprises restent majoritairement occupés par des membres de la famille du fondateur ou du propriétaire de l'entreprise. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dans les grandes entreprises, le « phénomène bureaucratique », de même que la haute main de l'État sur les nominations de certains hauts dirigeants prennent le relais de la gestion familiale tout en conservant son principal défaut : la faiblesse de la promotion interne, qui prive les entreprises de cadres dirigeants issus du sérail, et réduit les espoirs d'évolution des salariés. Cette « prédilection française pour les hiérarchies rigides et la notion de statut » a engendré une forme d'organisation où la défiance entre des dirigeants à la légitimité affaiblie et des employés dont les compétences ne sont pas reconnues a été établie en norme.

Au début des années 2000, le capitalisme familial se porte bien. En France, l'actionnariat des entreprises est plus qu'ailleurs concentré au sein d'une même famille. Cette concentration de l'actionnariat favorise la transmission héréditaire de la direction des entreprises, ce qui restreint le groupe dans lequel seront choisis les dirigeants en privilégiant l'hérédité au détriment de la compétence. Thomas Philippon montre que ce mode de recrutement des cadres dirigeants induit non seulement une plus faible performance des entreprises, mais également un mode de gestion paternaliste où la coopération entre managers et employés est faible, tout comme la délégation d'autorité et la responsabilisation des échelons intermédiaires.

L'auteur se concentre ensuite sur l'analyse des conséquences sociales et économiques de cette particularité française. En s'appuyant sur des techniques statistiques modernes, mais dont les principes sont exposés de façon claire et intuitive, il établit un lien de causalité entre la qualité des relations au travail et le niveau d'emploi et de chômage dans les économies développées. Les résultats sont frappants : la qualité des relations sociales explique la majeure partie des variations du taux d'emploi entre les pays. Deux explications sont avancées. Tout d'abord, dans une économie où le capital humain prend une importance croissante, la coopération au sein des entreprises devient de plus en plus nécessaire. Une gestion archaïque des ressources humaines va donc entraîner des rigidités réelles aussi coûteuses que les rigidités institutionnelles, et qui vont déprimer la demande de travail des entreprises. Le chômage va mener à une entente forcée au sein de l'entreprise, au lieu que cette coopération soit atteinte par la confiance entre management et salariés. Ensuite, la mauvaise qualité des relations dans l'entreprise rend le travail pénible pour tous, favorisant une baisse de la participation au marché du travail. Le faible taux d'emploi des seniors français serait, selon Thomas Philippon, directement lié à cette pénibilité des relations au travail : quand on n'aime pas son travail, on attend sa retraite avec impatience.

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Quelles solutions apporter à ces problèmes dont l'impact économique global est loin d'être négligeable ? Thomas Philippon propose quelques pistes. L'une d'elles est de réformer la fiscalité de la transmission des entreprises, en ne favorisant plus systématiquement les transmissions familiales au détriment des « fils spirituels ». Une autre est d'améliorer et de faciliter le dialogue social en renforçant la représentativité syndicale, aussi bien du côté des salariés que de celui des employeurs.

Le débat ouvert par l'ouvrage de Thomas Philippon est d'une importance fondamentale pour l'économie française. La clarté et la cohérence du raisonnement rendent ses conclusions convaincantes.

— Antoine TERRACOL

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