Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LE CARNET D'OR, Doris Lessing Fiche de lecture

L’écriture comme recréation du moi

Dans sa préface de 1971, Doris Lessing souhaitait que son roman constituât « son propre commentaire, une déclaration sans paroles ». Par sa forme, il refléterait la division, la fragmentation des êtres, tiraillés entre des dichotomies simplistes, dans un monde où la violence risque d’anéantir le pouvoir des mots (« Liée. Libre. Bon. Mauvais. Oui. Non. Capitalisme. Socialisme. Sexe. Amour… »). Selon Roberta Rubenstein, si le public ne s’est guère rendu compte de l’importance de la structure du Carnet d’or, c’est que les lecteurs se sont davantage attachés à sa dimension véridique, à son immense richesse, à ses idées ; ils ont apprécié la profondeur et la justesse de ses innombrables personnages. L’aspect métafictionnel du Carnet d’or, moins remarqué, guide pourtant la lecture des récits mis en abyme, démultipliant les personnages reflets, les parodies et les pastiches. Mais la vision romanesque de Lessing puise d’abord sa vérité dans des souvenirs vécus ; elle se veut réaliste, à l’encontre des diktats idéologiques ou des abstractions du nouveau roman, dans la grande tradition des romanciers européens du xixe siècle.

Par ailleurs, l’écriture apparaît comme la manifestation de l’existence d’une conscience individuelle universelle. La guérison d’Anna passe par la reconnaissance du « principe de joie dans la destruction », une inquiétante figure maléfique entrevue dans ses rêves. Cet agent finit par ouvrir la voie à une intégration bienfaisante des contraires, non seulement à travers ce que Carl Gustav Jung appelle « l’ombre », l’inconscient personnel, mais aussi l’animus et l’anima, principes masculin et féminin complémentaires : « j’étais le personnage mâle-femelle nain et malveillant ; Saul était mon homologue, mâle-femelle », comme l’explique Anna dans Le Carnet d’or. Le personnage de la romancière ne renaît qu’au bout d’un parcours de « dissémination » de son identité, voire de « déshumanisation », selon Frédéric Regard, atteignant une « humanité autre » (L’Écriture féminine en Angleterre). En cherchant à restituer la vie intérieure de son héroïne, qui, à l’instar de la Martha Quest des Enfants de la violence, cherche à comprendre sa place et son rôle dans la société, Doris Lessing, avec LeCarnet d’or, atteint la vérité de la condition humaine.

— Anne-Laure BREVET

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maître de conférences, professeure associée, Faculty of modern and medieval languages and linguistics, Cambridge (Royaume-uni)

Classification

Autres références

  • LESSING DORIS (1919-2013)

    • Écrit par
    • 2 090 mots
    • 1 média
    Parfois, la même œuvre obéit aux deux inspirations : les thèmes de la névrose et de la folie sont déjà présents dansLe Carnet d'or, roman réaliste s'il en fut ; Les Enfants de la violence, qui débutent à la façon d'un document, s'achèvent sur une vision prophétique où le monde réel...