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LE CHAPITEAU VERT (L. Oulitskaïa) Fiche de lecture

Un roman total

La composition de l’ouvrage est fantasque, avec des retours en arrière et des répétitions qui font découvrir un événement ou un personnage sous un autre angle, offrant ainsi une vision stéréoscopique de la réalité. La narration foisonne d’histoires secondaires, qui forment une mosaïque bigarrée de tranches de vie où se côtoient tous les milieux : l’intelligentsia raffinée, le prolétariat urbain, les artistes, les apparatchiks, le K.G.B… Au-delà de la chronique, Oulitskaïa retranscrit aussi les « petites histoires » qui sont la matière d’une vie, le quotidien, les premiers émois, la maternité, les amours qui se font et se défont, et débouche toujours sur une réflexion sur l’identité, ethnique ou religieuse, la création, la société, l’être humain. Le Chapiteau vertn’est pas une apologie de la dissidence : la plume acérée d’Oulitskaïa ne dissimule pas les faiblesses de ses personnages, leurs lâchetés grandes ou petites et leurs compromissions morales. Le charmant et charmeur Ilya se laisse corrompre par le K.G.B. et devient ce que l’U.R.S.S. a produit de plus méprisable : un collaborateur. Une trahison qui lui permet d’émigrer, mais qui le rongera intérieurement jusqu’au cancer qui l’emportera ; Micha refuse l’émigration que lui propose le K.G.B. et se défenestre ; Sania, dont la patrie est la musique plus que la Russie, émigrera à New York grâce à un mariage blanc, sans tractation avec le K.G.B. ni regret.

Malgré la présence du thème du pardon et de la réconciliation dans le chapiteau vert que voit en rêve l’une des héroïnes, et où se retrouvent pécheurs et innocents, ce roman, plus sombre que les précédents, laisse un goût d’amertume et d’injustice. Ludmila Oulitskaïa, n’en déplaise aux nostalgiques, porte un diagnostic sévère sur l’U.R.S.S. de cette période par le biais de ses personnages courageux, certes, mais aussi infantiles, dont les lignes de vie ont été brisées ou abîmées par un régime qui a brimé ses élites intellectuelles.

— Hélène MÉLAT

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Écrit par

  • : maître de conférences en littérature et culture russes, Sorbonne université

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