LE CHAT MURR, Ernst Theodor Amadeus Hoffmann Fiche de lecture
Lorsque paraît le second volume du Chat Murr, en décembre 1821, E. T. A. Hoffmann n'a plus que quelques mois à vivre : la maladie l'emporte le 25 juin 1822, avant qu'il ait pu commencer la rédaction du troisième et dernier volume du roman. Cette fin abrupte contraste avec l'extrême vitalité d'un auteur qui, né en 1776, aura publié en sept ans presque l'ensemble de son abondante œuvre littéraire. Depuis la parution de son premier recueil de récits et de contes fantastiques, les Fantaisies à la manière de Callot (1814), Hoffmann a connu un succès grandissant, en Allemagne d'abord, puis, de façon posthume, dans toute l'Europe et particulièrement dans la France « romantique » des années 1830 et 1840.
Un roman dédoublé
Le Chat Murr est, avec Les Élixirs du diable (1815-1816), le seul roman de cet auteur, réputé surtout pour ses contes et ses nouvelles. C'est un roman qui met littéralement en pièces ce qui semble être l'un des principes du genre romanesque : la continuité narrative. Dans un avant-propos ironique, le livre est décrit comme le résultat d'une improbable erreur de fabrication. Par mégarde, l'éditeur aurait imprimé non seulement l'autobiographie du chat Murr, mais également un certain nombre de feuilles arrachées à un autre livre déjà imprimé. Nous avons donc affaire à un texte double et polyphonique, suivant un principe de composition qui s'apparente au contrepoint musical. L'autobiographie du chat, reprise parodique du schéma du « roman de formation », s'interrompt périodiquement de façon apparemment arbitraire. Elle laisse place à un récit qui retrace l'histoire d'un personnage que les lecteurs d'Hoffmann connaissent déjà depuis les Fantaisies à la manière de Callot : le maître de chapelle Kreisler.
À première vue, les liens entre les deux récits sont ténus. Le fait que la problématique de l'artiste soit au centre des narrations fait ressortir les effets de résonance, mais surtout les divergences entre les deux univers de Murr et de Kreisler. Dans son autobiographie, Murr décrit avec complaisance les étapes de son accession à la dignité d'écrivain. Vaniteux, hypocrite et servile, le chat ne parvient pas à masquer la médiocrité de sa production littéraire. L'artiste, ici, n'est guère qu'une espèce de bourgeois repu. Il sait que « le monde avec ses poissons frits, ses os de poulets, sa pâtée, etc., est le meilleur des mondes ». Homme de la dissonance, Kreisler, lui, s'enflamme pour les visions idéales ; à d'autres moments, cet esprit persifleur se lance dans de longues diatribes ironiques, par exemple lorsque la princesse Hedwiga critique l'une de ses compositions, trop expressive à son goût : « Voilà qui est en effet contraire aux usages et à la bonne tenue que de se présenter dans la société sans recouvrir du drapé des convenances et de la bienséance ce cœur gonflé de nostalgie, de douleur et d'extase ! et toutes ces pompes à incendie, que le bon ton prend soin d'installer en tout lieu, que valent-elles donc ? ont-elles assez de force pour étouffer ce feu de naphte prêt à éclater partout ? [...] On a beau répandre le thé, l'eau sucrée, les honnêtes conversations et autres plaisants turlututus, il se trouve toujours quelque incendiaire criminel pour vous jeter dans le cœur une de ces fusées inventées par Congreve : alors, la flamme jaillit, brille et consume toute chose, ce qu'aucun clair de lune ne fait jamais ! » Chez Kreisler se mêlent indissociablement la passion de la musique et l'amour pour Julie, une jeune fille qui l'a charmé par sa voix, mais que la mère, au prix de manipulations mystérieuses, cherche à soustraire à l'étrange Kapellmeister. Cette intrigue se double d'une visée satirique, puisqu'elle se déroule pour[...]
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Écrit par
- Christian HELMREICH : agrégé d'allemand, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-VIII
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