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LE CID, Pierre Corneille Fiche de lecture

<em>Le Cid</em> de P. Corneille, mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Le Cid de P. Corneille, mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman

D'abord joué en janvier 1637 sous la bannière de la tragi-comédie, Le Cid de Pierre Corneille (1606-1684) connaît immédiatement un grand succès au théâtre du Marais. La « Querelle du Cid » s'ouvre quelques semaines après la première représentation, en avril 1637, avec les Observations sur « Le Cid » du dramaturge et académicien Georges de Scudéry (1601-1667), et se poursuit jusqu'en 1660. Corneille répond pied à pied aux arguments qui mettent en cause sa dramaturgie lors des éditions de 1648 et de 1660. Abandonnant l'aspect plus libre et spectaculaire qui la liait à la tragi-comédie, la pièce est devenue une tragédie à part entière. Dans le même temps, l'écrivain veille aussi à sa publication, faisant en sorte qu'elle ne soit plus exclusivement la propriété du théâtre du Marais. Premier poète dramatique à superviser de son vivant l'édition de ses Œuvres complètes, Corneille est donc bien aussi le premier « professionnel » de la littérature.

De la chanson de geste à la tragédie

Le Cid Campeador (« seigneur qui gagne les batailles ») appartient à la légende espagnole. Rodrigue, chevalier du xie siècle (1043-1099), est l'emblème de l'histoire castillane, auréolé d'une série de romances et de chansons de geste. Corneille, qui sait l'espagnol, emprunte le canevas de sa pièce à une comedia de Guillén de Castro (1569-1631), Les Enfances du Cid (1618), qui mélange l'histoire et le légendaire romanesque.

Toutefois, la pièce de Corneille, bien que tirée de la tradition espagnole, s'insère parfaitement dans les schémas dramaturgiques du temps : l'action du Cid repose sur le thème canonique des amours contrariées, auquel Corneille associe l'honneur du lignage et l'autorité de l'État. À la cour de Séville, à l'époque de la Reconquête, deux jeunes gens (Rodrigue et Chimène) s'aiment, mais leurs pères respectifs (don Diègue et don Gomès) s'opposent. Don Gomès ayant giflé don Diègue, un duel s'ensuit. Le père de Chimène meurt de la main de Rodrigue, et les deux amants (personnages qui s'aiment de façon réciproque) se déchirent. Chimène est contrainte de réclamer la punition de son amant. Les obstacles de la tragi-comédie sont ainsi intériorisés en crise morale où l'amour et l'honneur s'opposent. Sur cette intrigue principale se greffent deux autres actions : l'Infante, fille du roi, amante-ennemie et amoureuse élégiaque, aime Rodrigue mais ne peut prétendre à l'épouser parce que son rang s'y oppose et parce qu'il en aime une autre ; quant à don Sanche, un rival malheureux, il aime Chimène sans retour. À l'action complexe de la tragi-comédie se joint le spectacle. Querelle, duel, stances, récit de combat, procès, duel judiciaire, subterfuge, aveu masqué, retrouvailles, tout concourt à l'intérêt du spectateur.

Dans un monde où l'héroïsme est partout vanté, les personnages masculins exhibent leur panache tandis que les femmes, tout aussi fortes, souffrent et résistent. Enfin, le roi don Fernand, à la recherche de sa propre légitimité, va asseoir son pouvoir sur les lignages aristocratiques en mettant Rodrigue-le-Cid directement au service de l'État. Au commencement, il cherche à confirmer son pouvoir sans y parvenir vraiment : il interdit les duels, mais les aristocrates continuent à s'affronter ; il souhaite gouverner un pays uni, mais les Maures sont aux portes ; il veut dire la loi, mais, ne le feraqu'à la dernière scène du dernier acte.

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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<em>Le Cid</em> de P. Corneille, mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

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