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LE CIEL DANS UN TAPIS (exposition)

Après l'exposition Tapis, présent de l'Orient à l'Occident, à l'Institut du monde arabe (I.M.A.) à Paris en 1989, Le Ciel dans un tapis regroupait à l'I.M.A., du 7 décembre 2004 au 31 mars 2005, cinquante-sept pièces exceptionnelles, provenant notamment de la fondation Calouste Gulbenkian à Lisbonne, du musée des Arts décoratifs à Paris, du Museum für islamische Kunst de Berlin et du Metropolitan Museum of Art de New York.

Cet ensemble était issu des productions de l'Orient musulman du xve au xxe siècle. Tapis de l'Égypte mamelouke, de la Perse safavide et de la Turquie ottomane, mais aussi tapis de tradition nomade ou villageoise provenant des tribus d'Asie centrale et du Maghreb, témoignaient de l'extrême variété stylistique et de la plasticité de la technique du point noué, qui reste l'élément modulaire unique. « Partout en Orient où cette fabrication est encore en usage, écrit Aloïs Riegl, conservateur de la collection de tapis du musée des Arts appliqués de Vienne, au commencement du xxe siècle, on noue les tapis de la même manière, du reste imposée par la simplicité de l'artifice à employer. » La réalisation du tapis se confond avec la répétition du nœud, de sorte que s'efface toute différence entre épaisseur matérielle du support et surface visible, la différenciation du plan naissant des effets de spatialisation obtenus par le changement dans la couleur des fils.

Le dessin devient l'élément de la construction, chargé d'une fonction architectonique dans une sorte de coïncidence entre l'organisation géométrique de la surface et le déploiement figural des motifs. Le jeu des superpositions, répétitions et entrelacs, le contraste entre le champ et les motifs dispersés, l'imbrication complexe des bordures produisent une impression contradictoire de dissociation et de flottement, en même temps que de régularité ordonnée. Que le regard se concentre sur un médaillon central circulaire (tapis safavides du xvie siècle) ou se disperse à travers le champ et glisse sans pouvoir se fixer (tapis persans à motifs floraux all over), de la composition se dégage un effet hypnotique, effet simultané de vertige et de symétrie. Sans doute est-ce ce jeu des profondeurs et des glissements de plans induisant d'autres modes de perception, et par là d'autres états de conscience, qui a fasciné les peintres de la Renaissance italienne, puis d'Europe du Nord, les incitant à intégrer ces constructions de formes pures, affranchies des lois de la perspective, à l'espace du tableau.

L'exposition mettait en valeur, de manière assez nouvelle, la dimension anthropologique et cosmogonique des tapis, liée aux valeurs religieuses qui, de l'Égypte à l'Afrique du Nord ou au Caucase, s'attachent au filage, au nouage, au mouvement de la navette, à la confection de toute surface tissée ou nouée. Comme le montre Roland Gilles – commissaire, avec Joëlle Lemaistre, de l'exposition –, dans le catalogue (I.M.A., Paris, 2004), la chaîne en laine écrue, neutre et fixe, joue le rôle d'une sorte de hylè ou matière primordiale, de substance première indifférenciée qui, invisible, traverse tout l'univers. Le montage de la chaîne est associé à la pluie, aux sillons, à tout ce qui précède et provoque l'animation par tensions et rayures. La trame mobile, c'est-à-dire animée, est associée au sang. Ainsi, d'étranges tapis berbères du Moyen-Atlas, dont un exemplaire était exposé, conçus dans un style anarchique et spontané, sans agencement décoratif déterminé et apparemment dénués de concept, se situent en deçà d'une organisation de l'espace et de toute démarche descriptive : « Sur la surface [...] apparaissent çà et là des points, des éclairs, de vagues damiers, sans référence à un objet précis. On dirait que la main de la tisserande, en se portant sur le métier,[...]

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