LE CINÉMA AMÉRICAIN DES ANNÉES 70 (J.-B. Thoret)
Le cinéma américain des années 1970 occupe une position paradoxale dans l'histoire du septième art. Proche de nous, il marque l'entrée en lice d'une génération prestigieuse qui, de Martin Scorsese à Brian De Palma, en passant par Francis Ford Coppola ou Steven Spielberg, a profondément renouvelé un idiome qui venait de subir le contrecoup de la fin du studio system. Dans le même temps, tout se passe comme si, entre le cinéma classique des années 1930-1960 et la « relance » des années 1980, les films de la décennie intermédiaire se présentaient au mieux comme une « parenthèse enchantée », mais plus sûrement comme le refoulé d'un cinéma hollywoodien toujours prompt à effacer les traces d'une mue fondée sur le refus du conformisme, la contestation et l'exigence à l'égard des pouvoirs de l'image. Il semblait en aller de même dans le champ des études cinématographiques, où la période considérée apparaissait à tous égards comme le chaînon manquant de la cinématographie américaine. Cette carence est désormais comblée par la publication de la somme de Jean-Baptiste Thoret, parue en 2006 aux éditions des Cahiers du cinéma (Paris).
Auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la même période, ce jeune écrivain de cinéma s'est fait connaître en 2003 par 26 Secondes, l'Amérique éclaboussée où, à partir des images de l'assassinat du président Kennedy tournées par Abraham Zapruder, il montrait l'« influence » de ce document sur un cinéma américain fondé jusqu'alors sur l'ellipse et le non-dit. La récurrence des motifs de l'éclaboussement et de l'éclatement, véritables thèmes structurants de films comme Bonnie and Clyde (Arthur Penn, 1967), Soldat bleu (Ralph Nelson, 1970) ou Furie (Brian De Palma, 1978), dévoilait le changement de nature d'un cinéma qui s'attachait désormais à montrer l'horreur, non par complaisance ou pornographie, mais selon une rigoureuse nécessité à la fois esthétique, historique et (dans bien des cas) politique.
Dans Le Cinéma américain des années 70, Jean-Baptiste Thoret reprend la réflexion initiée dans 26 Secondes et l'étend à l'ensemble de ce qu'on a justement appelé le Nouvel Hollywood. Le livre s'ouvre par un prologue consacré à l'un des premiers films de Martin Scorsese (The Big Shave, 1967) où on voit un homme se raser le visage avec tant de méthode qu'il n'est bientôt plus qu'une gigantesque plaie : c'est ainsi, selon Jean-Baptiste Thoret, que « le Nouvel Hollywood a commencé par raser l'Ancien ». Le passage de l'ancien au nouveau ne s'opère donc pas sur le mode de la rupture, comme ce fut le cas – ou comme on a pris l'habitude de le penser – en Europe, avec les exemples majeurs du néo-réalisme italien et de la Nouvelle Vague française. Contrairement aux déterminations les plus traditionnelles, l'image américaine ne se laisse pas définir par l'action mais par l'énergie. Une telle hypothèse est productive dans la mesure où elle permet à l'auteur d'expliquer, par exemple, l'escamotage de la modernité par le cinéma américain, et de faire porter notre regard sur ce qui existe dans les films (penser l'image en énergie) plutôt que de chercher vainement ce qui ne saurait se produire (une crise de l'image-action à l'européenne). Si, à l'époque classique, l'énergie est synonyme d'action, la violence est précisément ce qui « survient à chaque fois que l'équilibre entre l'action et l'énergie est rompu ». D'où le déchaînement de la violence de Travis dans Taxi Driver en 1976 (par un effet d'énergie trop longtemps accumulée) et le suicide collectif à la fin de La Horde sauvage en 1969 (avec une dépense énergétique à accomplir coûte que coûte).[...]
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Écrit par
- Marc CERISUELO : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée
Classification
Média