LE COMTE DE MONTE-CRISTO, Alexandre Dumas Fiche de lecture
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Du réalisme au fantastique
Avec comme toile de fond la France d'après Napoléon, dont sont décrits avec précision certains aspects de la vie politique, économique et mondaine, Le Comte de Monte-Cristo apparaît d'abord comme un roman réaliste, où l'action semble déterminée par les mouvements de l'Histoire. C'est parce que la première Restauration est une période politiquement confuse, propice à l'arbitraire et au déni de justice, que Dantès peut être emprisonné. C'est parce que son retour coïncide avec le moment où le capitalisme se développe et où la fortune remplace le titre ou le mérite qu'il peut occuper le devant de la scène sans que l'on s'interroge sur son passé. Le roman, où il est beaucoup question de dots, d'héritages et de spéculations boursières, prend alors des allures de critique sociale. Celle de l'argent-roi et de l'immoralité qui lui est inhérente. Celle d'une société dont les notables – ici, un banquier, un général et un magistrat – peuvent s'avérer de grands criminels.
Le génie de Dumas est toutefois d'avoir adjoint à ce réalisme les ingrédients du merveilleux et même du fantastique. Son roman peut aussi se lire comme un conte, ne serait-ce que par la présence des thèmes du trésor et de la métamorphose de l'humble en puissant. Lorsque Dantès réapparaît, c'est d'abord sous le nom de Simbad le Marin. Et cette réapparition survient dans une atmosphère digne des Mille et Une Nuits qu'il évoluera, entouré d'un garde du corps noir et muet et d'une esclave voilée, fumant le haschisch et l'opium.
Le récit ne cesse par ailleurs d'accumuler les notations qui soulignent l'étrangeté d'un personnage « significatif », qu'on croirait « revenant de l'autre monde ». Outre sa fortune infinie, le comte est doté de pouvoirs quasi magiques qui lui permettent, notamment, de plonger Valentine de Villefort dans une mort artificielle. Certains reconnaissent en lui un vampire, parce qu'il ne s'alimente pas, voit dans l'obscurité et se caractérise par une pâleur extrême. La haine qui l'habite le rend parfois monstrueux : « Ses lèvres, légèrement écartées, faisaient voir ses dents blanchâtres, petites et aiguës comme celles d'un chacal. »
Si le personnage est marqué d'une singularité qui le rend presque étranger au monde des hommes, c'est simplement qu'il a été foudroyé par le destin. « Je suis descendu d'une planète qu'on appelle la douleur », confie-t-il. Réduit à l'état de mort-vivant, contraint d'être l'instrument d'une justice dont il vient à douter, Monte-Cristo appartient à la race des héros maudits et accablés auxquels les romantiques, du Juif errant au Hollandais volant, ont consacré une large part de leur imaginaire.
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Écrit par
- Philippe DULAC : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
Classification
Média