LE CONSEIL D'ÉGYPTE, Leonardo Sciascia Fiche de lecture
Les lumières de Sicile
En relatant l'imposture imaginaire de l'abbé Vella, l'auteur retrace les débats politiques suscités par le gouvernement libéral du vice-roi Caracciolo – marquis de Villamarina, qui dirigea réellement la Sicile de 1781 à 1786 – et animés en Europe par les philosophes des Lumières, tels que Voltaire, d'Alembert et Diderot. Dans ce cinglant tableau historique des salons siciliens, la mesquinerie des propriétaires terriens au conservatisme apeuré, et les médisances des prêtres opportunistes dominent les conversations. La seconde partie du volume livre une brève lettre adressée au roi par l'abbé Vella : les allusions aux archives brûlées de l'Inquisition, à la réécriture du passé pratiquée par le moine – rétribué par certains aristocrates pour redorer le prestige de leurs aïeux – sont comme une allégorie de l'écriture du roman. Elles illustrent la quête d'une histoire de la Sicile qui serait libérée des amitiés coupables et des compromissions diverses que suscite l'obsession du pouvoir. La critique de l'iniquité des structures juridiques, mais aussi des exactions de l'Église – l'autre pouvoir de la Sicile –, se fait plus vive encore dans la troisième section, avec la description les tortures infligées au courageux Di Blasi, bouc émissaire de la crainte qu'inspirent aux aristocrates les mouvements révolutionnaires français.
« Toute mode – et pas seulement les éventails – venait de France et trouvait un terrain fertile, fleurissait allégrement dans une société qui n'était au mieux qu'un labyrinthe de voluptés et d'oisivetés, et qui ne s'enflammait qu'aux péripéties de l'adultère et du biribi. » Les excès de la mode, de la licence – qui touche également les prêtres – et la passion généralisée pour le jeu figurent autant d'illustrations du règne de l'irrationnel, que toute l'œuvre de Sciascia se consacrera à combattre. Sous forme d'enquête policière ou de chronique historique, au style volontiers haché, coloré d'influences dialectales et de métaphores baroques, le profond engagement éthique et politique de l'écrivain va se déployer dans une constante dénonciation des masques sociaux, des abus de pouvoirs et de la Mafia. Partageant son attachement à la Sicile, le grand écrivain Luigi Pirandello, auquel Sciascia rend souvent hommage, aurait pu poser la question ouverte à la fin de la première partie du Conseil d'Égypte : « Comment peut-on être sicilien ? »
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Carina MEYER-BOSCHI : DEA de littérature italienne contemporaine à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média
Autres références
-
SCIASCIA LEONARDO (1921-1989)
- Écrit par Mario FUSCO
- 2 634 mots
- 1 média
Il n'est pas surprenant que cette curiosité insatiable l'ait également conduit à écrire de véritables romans historiques. Le Conseil d'Égypte (Il Consiglio d'Egitto, 1963) raconte la vie d'un avocat palermitain du xviiie siècle, De Blasi, qui, compromis dans un complot républicain,...