Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LE CONTRAT NATUREL, Michel Serres Fiche de lecture

Qui signe le contrat ?

La question est en fait de savoir qui peut légitimement devenir sujet de droit. Michel Serres rappelle que, pendant des siècles, seuls les individus de sexe masculin appartenant à une élite pouvaient interpeller la justice, mais qu’étaient exclus de cette possibilité les femmes, les enfants, les étrangers, les pauvres, etc. Il a fallu attendre 1948 pour que la Déclaration des droits de l’homme mérite d’être qualifiée d’« universelle », ce que n'était pas, tant s’en faut, la Déclaration de 1789.

Notre philosophe ne prétend pas inventer de toutes pièces un nouveau contrat, mais simplement tirer les conséquences du fait que, depuis quelques décennies, nos conduites, notre sensibilité, notre conscience de la fragilité des choses impliquent que la nature, si l’on entend par là le monde globalisé sur lequel nous agissons et qui agit sur nous, devient chaque jour davantage sujet de droit.

Au milieu de l’ouvrage se trouve la meilleure définition du contrat naturel, supposé être « la reconnaissance, exactement métaphysique, par chaque collectivité, qu’elle vit et travaille dans le même monde global que toutes les autres ». Cette définition a le mérite de nous faire comprendre qu’en réalité c’est entre les habitants de la planète qu’est établi le pacte qui engage l’humanité entière à cesser de se comporter en parasite.

« Le parasite prend tout et ne donne rien ; l'hôte donne tout et ne prend rien. Le droit de maîtrise et de propriété se réduit au parasitisme. Au contraire, le droit de symbiose se définit par la réciprocité : autant la nature donne à l'homme, autant celui-ci doit rendre à celle-là, devenue sujet de droit. » Il convient, explique Michel Serres, de substituer à la soif de maîtrise de nouveaux rapports d’admiration, de respect, de soin, et de signer entre nous un « contrat de symbiose » qui découle de la conscience qu'à terme le parasite se condamne lui-même à disparaître.

Plus décisive peut-être que l’idée de contrat est la notion d’« Objet-Monde », nouveau cadre dans lequel se situent les activités de l’humanité. Et si l’on décline au pluriel l’Objet-Monde, on retiendra que c’est au sein de son HermèsIII, la traduction (1974), dans le chapitre intitulé « Trahison : la thanatocratie », que le philosophe avait analysé ces objets-monde que sont les missiles balistiques, les satellites artificiels, les centrales et les bombes nucléaires, qui ne peuvent plus être pensés à l’échelle réduite d’un espace délimité.

Nous voyons pour la première fois la Terre entière grâce aux photographies prises par les spationautes, nous communiquons avec la Terre entière par le biais de nos réseaux sociaux, nous modifions la Terre entière, et particulièrement son climat, par nos technologies. Il n’est plus possible de raisonner comme si un sujet dominait un objet extérieur à lui. L’Objet-Monde et les objets-monde qui le peuplent exigent du philosophe qu’il repense les notions de sujet et d’objet. Qu’il construise une réflexion à la hauteur des menaces de mort qui pèsent sur une humanité incapable d’accéder à la maîtrise de sa maîtrise. Et qu’il exhorte ses semblables à sortir de la « négligence », cet « oubli de ses devoirs » qui, comme le suggère l’étymologie, est bien le véritable contraire de la religion.

— Philippe GRANAROLO

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

Classification

Média

Michel Serres - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Michel Serres