LE CORBUSIER (1887-1965)

Une des premières monographies consacrées par le critique d’art Maurice Besset à Le Corbusier peu après sa mort s’intitule : Qui était Le Corbusier ? Au fil des ans, la réponse semble de plus en plus compliquée, avec les coups régulièrement portés à l’encontre de la statue du commandeur du Mouvement moderne en architecture. Parallèlement à la rudesse de ses formes en béton et à sa supposée paternité des tours et des barres des banlieues tant décriées, c’est l’homme qui est accusé de raideur psychologique et d’avoir entretenu des sympathies fascistes au cours des années 1930. La réalité de l’œuvre et de son créateur s’avère infiniment plus complexe : Le Corbusier reflète les ambiguïtés d’une période de l’histoire mouvementée ; ses édifices, comme ses peintures, ses livres et ses engagements personnels les incarnent tout en les transcendant.

À presque trente ans d’écart, deux grandes expositions qui lui ont été consacrées au Centre Georges-Pompidou à Paris témoignent de l’évolution du regard que la postérité porte sur lui. Dans la première, en 1987, le créateur protéiforme était célébré, l’accent mis sur l’originalité de sa position au sein du Mouvement moderne. La seconde, en 2015, était centrée sur sa contribution artistique et sa philosophie de la mesure, et fut accusée de ne pas exposer ses positions politiques. Ironie de l’histoire, les faits qui sont reprochés à l’architecte étaient déjà connus, et présentés, en 1987.

Un génie autodidacte ?

Le Corbusier - crédits : Walter Limot/ AKG-images — Le Corbusier
Walter Limot/ AKG-images

Charles-Édouard Jeanneret – il n’adoptera le pseudonyme de Le Corbusier qu’en 1920 – est né le 6 octobre 1887 à La Chaux-de-Fonds (Suisse), petite ville tout entière dévouée à l’industrie horlogère du canton de Neuchâtel. Comme son père et la plupart de ses condisciples, il était destiné à un travail d’artisan dans la production des montres – en l’occurrence, celle de graveur de boîtiers. Il a étudié à l’école d’art décoratif municipale sous la houlette du peintre Charles L’Eplattenier, qui l’orienta vers l’architecture. Quelques villas réalisées dans le style « chalet » virent ainsi le jour dès 1905 – le jeune homme n’avait que dix-huit ans. Il se forma surtout par les stages (chez Auguste Perret à Paris en 1908-1909, chez Peter Behrens à Berlin en 1911) et les voyages : l’Italie dès 1907, l’Allemagne et surtout, en 1911, le voyage d’Orient tout autour de la Méditerranée, qui le marquera pour toute sa vie. Cet apprentissage loin des Écoles de beaux-arts l’incitera à revendiquer une formation d’autodidacte, inexacte puisque son parcours non conventionnel fut fondé sur le côtoiement de quelques maîtres.

Lorsque la Grande Guerre éclata, Le Corbusier exerçait à La Chaux-de-Fonds où il se sentit vite à l’étroit. Farouchement germanophobe, il conçut dès 1914, en vue des reconstructions qui suivraient le conflit, un principe de construction qu’il nomma « Dom-Ino » : une ossature de béton composée de simples poteaux carrés porte des dalles de plancher sans retombée de poutres. Si ce principe n’était pas inédit chez les ingénieurs, il révolutionnera l’architecture du xx^e siècle, car Le Corbusier fut le premier à en pressentir le potentiel spatial et esthétique.

Mais il se sentait promis à un destin plus ambitieux : celui d’inventer l’architecture de l’ère de la machine. La dernière construction qu’il livre, en 1917 à La Chaux-de-Fonds, l’opulente villa Schwob, dont la structure est déjà en béton armé, témoigne de cette soif d’explorer de nouvelles voies.

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Écrit par

Guillemette MOREL JOURNEL : chercheuse au Laboratoire architecture culture société, UMR AUSSER CNRS de l'École nationale supérieure d'architecture Paris-Malaquais

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