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LE CORBUSIER (1887-1965)

Espace indicible et logement du plus grand nombre

Après la guerre, Le Corbusier s’installe dans le statut de figure majeure du Mouvement moderne : il est invité partout, même en Inde, où il réalise dès 1950 le centre civique (dit « Capitole ») de la nouvelle capitale du Pendjab, Chandigarh. Il sillonne le monde où ses œuvres (bâties et plastiques) sont exposées, participe à de nombreux congrès et conférences. Son vocabulaire architectural semble prendre un tournant radical : aux pilotis, plans lisses et lignes rectilignes de la villa Savoye succèdent les murs massifs, courbes et rugueux ainsi que le plan organique de la chapelle de Ronchamp (1950-1955). Ce langage nouveau, organique, ne sera pas sans dérouter, voire froisser, ses thuriféraires fonctionnalistes. Il s’appuie sur la conjonction de deux nouveaux concepts prônés par Le Corbusier : la synthèse des arts (qu’il interprète en insérant ses œuvres plastiques dans ses bâtiments) et « l’espace indicible » – si bien nommé qu’il est difficile d’en donner une définition précise, mais qui renvoie à une conception « ouverte » de l’architecture.

Son inclination brutaliste, qui lui fait adopter des surfaces irrégulières et rudes, le plus souvent réalisées en béton laissé brut de décoffrage, est confirmée dans le couvent de la Tourette (1953-1960) et dans quelques constructions privées : les maisons Jaoul (Neuilly-sur-Seine, 1951-1955), qui combinent voûtes de béton et murs de briques apparentes, et les villas Shodan et Sarabhai, réalisées à Ahmedabad au tout début des années 1950. En Inde toujours, avec l’aménagement des espaces publics et des principaux bâtiments du Capitole – Haute-Cour (1951-1956), Secrétariat des ministères (1951-1958) et palais de l’Assemblée (1951-1964) –, Le Corbusier parvient à créer un cadre à la fois moderne et intemporel. Il s’agissait, notamment, de donner une forme nouvelle, dénuée de tout mimétisme, à des dispositifs locaux comme le parasol et le brise-soleil, tout en prenant acte des moyens techniques rudimentaires de l’Inde du début des années 1950. Les édifices massifs offrent des effets spectaculaires d’ombre et de lumière. Ils sont souvent distribués par des rampes qui donnent une échelle monumentale à la « promenade architecturale » qu’il avait conceptualisée trente ans plus tôt.

L’architecte n’en oublia pas pour autant la grande aspiration de sa vie : fournir un habitat digne au plus grand nombre – on parlerait aujourd’hui de « logement social ». Depuis l’ossature Dom-Ino et les immeubles-villas, sa volonté d’articuler vie privée et espaces collectifs dans une construction moderne resta intacte. Imaginée dès les années 1930 dans le cadre de sa réflexion sur une agglomération théorique, La Ville radieuse (un livre lui fut consacré en 1935), le principe de « l’unité d’habitation de grandeur conforme » a été peu à peu affiné. Réalisée pour la première fois à Marseille (1945-1952), cette barre de 17 étages réunit 337 appartements en duplex insérés dans une structure monumentale en béton comme des bouteilles dans un bouteiller. Elle repose sur de sculpturaux piliers en béton qui laissent libre le rez-de-chaussée, tandis que le toit-terrasse (deux des « points » de 1929) accueille des locaux collectifs : école, gymnase, pataugeoire, piste de sports… et, aujourd’hui, un centre d’art contemporain. Une « rue intérieure » regroupe, au 7e étage, des commerces et des équipements collectifs. Le Corbusier imaginait que les unités d’habitation permettraient de reconstruire la France de l’après-guerre. En fait, seuls quatre exemplaires seront réalisés, avec une beauté plastique et une générosité programmatique moindres.

Comme toutes ses constructions de l’après-guerre, les unités d’habitations, dites aussi « cités radieuses », sont dimensionnées et proportionnées[...]

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Écrit par

  • : chercheuse au Laboratoire architecture culture société, UMR AUSSER CNRS de l'École nationale supérieure d'architecture Paris-Malaquais

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Média

Le Corbusier - crédits : Walter Limot/ AKG-images

Le Corbusier

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