LE COUSIN PONS, Honoré de Balzac Fiche de lecture
Un testament balzacien ?
C'est sur une vision totalement pessimiste de la société que se clôt l'épilogue de La Comédie humaine. L'homme est bien un loup pour l'homme et, comme lui, chasse en meute, toutes classes sociales confondues. « Crimes d'en haut » et « crimes d'en bas » ne présentent qu'une différence d'échelle, non de nature, et se rejoignent dans une même vénalité, écrasant inexorablement les faibles, les naïfs, les idéalistes et ceux qui n'ont pas constitué de lignée.
Les critiques ont souvent donné à ce pessimisme des explications autobiographiques : Balzac, lui-même collectionneur passionné d'œuvres d'art, se sentant victime d'un complot tramé par sa mère pour l'empêcher de connaître le bonheur avec Mme Hanska, se serait projeté dans le personnage de Pons. Si désespoir il y eut, jamais celui-ci en tout cas n'avait rendu si manifeste le bonheur d'écrire ; jamais peut-être Balzac n'avait mis une si évidente jubilation à faire vivre des personnages, jusqu'à presque donner, dans cette œuvre consacrée pour moitié à la seule exposition des éléments du drame, la primauté au descriptif sur le narratif. En cela, il annonce directement Flaubert. Difficile en effet de ne pas entrevoir dans le spencer de Pons, et même dans son portrait, la casquette de Charles Bovary. Tout comme on peut distinguer dans le couple Pons-Schmucke les ombres de Bouvard et Pécuchet : « En 1835, le hasard vengea Pons de l'indifférence du beau sexe, il lui donna ce qu'on appelle, en style familier, un bâton de vieillesse. Ce vieillard de naissance trouva dans l'amitié un soutien pour sa vie, il contracta le seul mariage que la société lui permît de faire, il épousa un homme, un vieillard, un musicien comme lui. »
Plus encore que le bonheur de la description, ce qui caractérise le dernier Balzac, c'est le plaisir d'individualiser les personnages grâce à leurs particularismes langagiers. L'accent germanique de Schmucke, qu'on trouvait déjà, aussi littéralement retranscrit, chez le banquier Nucingen, le charabia de l'Auvergnat Rémonencq, les cuirs de la Cibot qui parle en N (« Je vous en tirerai n'à moi seule »), autant d'idiolectes qui accentuent la caricature déjà présente dans le portrait de ces personnages tout comme l'illusion de leur réalité (c'est là, on le sait, un procédé que magnifiera Marcel Proust). Est-ce à dire que la fiction, par la liberté et la fantaisie qu'elle permet, l'emporte sur la vraie vie ? En tout cas, ce n'est pas sur de profondes considérations sociales ou historiques que se conclut l'ultime roman de Balzac, mais sur une pirouette : « L'Auvergnat, après s'être fait donner par contrat de mariage les biens au dernier vivant, avait mis à portée de sa femme un petit verre de vitriol, comptant sur une erreur, et sa femme, dans une intention excellente, ayant mis ailleurs le petit verre, Rémonencq l'avala. Cette fin, digne de ce scélérat, prouve en faveur de la Providence que les peintres de mœurs sont accusés d'oublier, peut-être à cause de dénouements de drames qui en abusent.
Excusez les fautes du copiste ! ».
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Écrit par
- Philippe DULAC : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
Classification
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Autres références
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BALZAC HONORÉ DE (1799-1850)
- Écrit par Maurice MÉNARD
- 15 001 mots
- 3 médias
...rien à la force de la phrase). Cette dépense peut être celle du sentiment (le père Goriot ou Louise de Chaulieu dans Mémoires de deux jeunes mariées), de la gourmandise et de la passion collectionneuse (l'une et l'autre présentes chez le cousin Pons), ou bien de l'« analyse » et de la quête de l'absolu...