Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LE COUTEAU (S. Rushdie) Fiche de lecture

Article modifié le

Publié au printemps de 2024, Le Couteau (trad. G. Meudal, Gallimard, Paris, 2024) a été écrit en réaction à la tentative d’assassinat dont son auteur, l’écrivain Salman Rushdie, fut victime le 12 août 2022. Si le livre est d’abord un récit autobiographique détaillant cette attaque, il est aussi une méditation intime sur la survie, la souffrance, ainsi que sur l’amour, la soif de vivre à tout prix, la nécessité d’écrire et le combat contre la censure.

« Répondre à la violence par l’art »

Structuré en deux parties de quatre chapitres chacune, Le Couteau dessine un triangle dont les trois sommets sont l’écrivain, « l’ange de la mort » qui motive l’agresseur et « l’ange de la vie » incarné par Eliza, l’épouse dont l’amour a tant contribué à arracher Rushdie à une mort annoncée. C’est une œuvre littéraire, au ton sobre, dénuée des excès et du panache qui colorent souvent ses romans et où, malgré le sujet traité, perce parfois l’humour si caractéristique de l’auteur.

En août 2022, Salman Rushdie était invité à parler dans l’amphithéâtre de l’institution de Chautauqua, dans le nord de l’État de New York, une sorte d’université d’été célèbre pour les débats sereins et respectueux qui s’y déroulent. Il venait à peine de prendre place devant le public qu’un homme armé d’un couteau surgit des gradins et se précipita sur lui, le poignardant au moins douze fois en vingt-sept secondes. Transporté par hélicoptère au centre de traumatologie de Hamot, en Pennsylvanie, l’écrivain passa huit heures au bloc et dut subir de multiples interventions. Allaient s’ensuivre de longues semaines à l’hôpital, une convalescence difficile et douloureuse et des séquelles irrémédiables, comme la perte de son œil droit.

L’un des chirurgiens confia à Rushdie qu’il avait eu de la chance, parce que l’agresseur ne savait manifestement pas comment tuer efficacement un homme en le poignardant. L’écrivain évoque à ce propos l’étrange intimité du corps-à-corps brutal que l’usage du couteau nécessite, en opposition à la froideur distante de l’arme à feu. Surtout, il se réapproprie le couteau en en faisant une métaphore de sa langue littéraire : « Le langage aussi était un couteau, capable d’ouvrir le monde, d’en révéler le sens, les mécanismes internes, les secrets, les vérités. […] Il pouvait dénoncer la bêtise, ouvrir les yeux des gens, créer de la beauté. Le langage était mon couteau […], l’outil dont j’allais me servir […] pour prendre en charge ce qui m’était arrivé, pour me l’approprier, le faire mien. »

Qui était cet assassin potentiel qui n’avait jamais agressé personne auparavant ? Rushdie refuse de citer son nom, et l’appelle simplement « le A. », A comme agresseur, assassin, abruti, âne, « [m]on A,. stupide et enragé ». Il ne sait de lui que le peu de choses que les médias ont rapportées, qu’il est né en Californie en 1998, dans une famille chiite qui avait émigré du Liban, qu’il n’était donc pas encore né en 1989, quand la fatwa contre l’écrivain fut prononcée par l’imam Khomeyni. De Rushdie, il n’avait lu qu’une ou deux pages, et avait vu sur YouTube quelques vidéos de l’écrivain, qu’il considérait vaguement comme « hypocrite ». Interloqué par ce jeune homme capable d’envisager de passer sa vie entière en prison pour avoir tué quelqu’un dont il ne sait pratiquement rien, l’écrivain tente de l’inventer, de le rendre « réel », comme il l’aurait fait d’un personnage dans un de ses romans. Il lui consacre tout un chapitre, dans lequel il imagine rendre visite au A. dans sa prison pour y mener quatre entretiens fictifs, face à face : exercice d’imagination, qui permet à Rushdie d’exorciser cette figure somme toute assez banale de l’endoctrinement par « l’imam Yutubi », en démontrant que celui qui se voulait « l’ange du destin […] n’est qu’un clown stupide qui a eu de la chance[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification