LE CRÉPUSCULE DES DIEUX (R. Wagner)
Un opéra ambivalent
Le Crépuscule des dieux fait preuve d'une double ambivalence. Sur le plan formel tout d'abord, l'œuvre semble tiraillée entre la structure archaïque d'un livret qui, avec ses chœurs, ses duos et trios, semble encore incarner ce grand opéra romantique dont Wagner a déclaré la caducité, et une écriture musicale qui, au contraire, a poussé au maximum de sa sophistication novatrice le procédé de composition par leitmotive. Ce tiraillement est dû à la méthode de travail choisie par le compositeur : une écriture à rebours du livret, puis une composition à l'endroit de la partition. À certains moments du drame, vingt-cinq années de travail séparent l'écriture du texte et la composition de la musique. Ensuite, la philosophie de Wagner, de Feuerbach à Schopenhauer, a, durant toutes ces années, profondément évolué. L'issue unilatéralement positive du drame, qui voyait le triomphe d'une humanité responsable et consciente d'elle-même, s'est peu à peu muée en un discours plus ambigu, moins didactique, dont la morale est laissée en dernier ressort, par-delà l'immolation purificatrice de Brünnhilde, à la parole mystérieuse de l'orchestre. C'est que peu à peu cette vaste parabole artistique, mettant en jeu la régénérescence du devenir humain, s'est transformée, dans l'esprit d'une partie de l'auditoire européen – et peut-être chez le compositeur lui-même, partagé entre Wotan et Siegfried –, en une parabole d'un irrémédiable déclin de l'Occident.
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Écrit par
- Timothée PICARD : ancien élève de l'École normale supérieure et de Sciences Po Paris, assistant à l'université Marc Bloch (Strasbourg), critique musical
Classification
Média