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DÉBAT LE, revue

Traiter les problèmes de fond

Pour alimenter Le Débat, Pierre Nora et Marcel Gauchet font appel à des historiens comme François Furet pour livrer une autre approche de la Révolution française et du rôle du Parti communiste, tandis que l’historien médiéviste Jacques Le Goff prend ses distances avec l’école des Annales. Pendant quatre décennies, la revue accompagne la vie intellectuelle française en traitant notamment de la mondialisation dans les années 1990, du « choc des civilisations » et de la montée de l’islam dans les années 2000, de la révolution numérique et de la crise de la culture, de la domination du capitalisme financier et de la préoccupation écologique à partir de 2010. Si les fondateurs avouent pencher à gauche, une gauche non doctrinaire et ouverte à l’échange de vues, la revue ne peut se classer politiquement, d’autant plus difficilement qu’on a vu ses frontières s’effacer au fil du temps, jusqu'à l’élection d’Emmanuel Macron. C’est sans doute cette absence de positionnement, auquel elle a préféré l’examen d’un sujet en s’efforçant de l’aborder dans sa complexité, qui n’a pas permis à la revue de se maintenir à un niveau de rentabilité suffisant. Le maître d’œuvre des Lieux de mémoire, Pierre Nora, y voit pour sa part un changement de paradigme.

Dans une société où, sur les chaînes d’information continue et les réseaux sociaux, les monologues accolés remplacent le dialogue, le différend et la culture du « clash » la véritable discussion, la crise de la Covid-19 va précipiter de manière symbolique la fin de l’aventure. « Un décalage de plus en plus évident n’a […] pas cessé de s’approfondir entre le type de revue générale d’idées que nous représentons et l’évolution des pratiques de lecture, les moyens qu’offrent les nouvelles technologies, les besoins mêmes de la société et son rapport de moins en moins familier avec les exigences de la haute culture. » Pierre Nora souligne par ailleurs que la plupart des lecteurs consultent sur Internet la revue pour un seul article ou un seul thème. D’où, pour la suite, l’idée de s’appuyer sur la collection « Le Débat », qui accueille depuis 1990 des auteurs réguliers de la revue comme Régis Debray, Krzysztof Pomian, Paul Yonnet, Jean Clair, Natalie Heinich, Gilles Lipovetsky, Jean-Luc Gréau ou Pascal Ory.

Enfin, cette cessation de parution s’inscrit aussi dans une stratégie commerciale de la part d’un éditeur qui avait déjà décidé, en décembre 2018, d’arrêter Les Temps modernes, revue fondée par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir en 1945, quelques mois après le décès de Claude Lanzmann, qui en était le directeur depuis 1986. On peut toutefois observer que d’autres revues, à commencer par la plus ancienne, La Revue des Deux Mondes (1829), mais aussi Études (1856), dirigée par les jésuites, Esprit, créée par Emmanuel Mounier en 1932, Critique, fondée en 1946 par Georges Bataille ou Commentaire, lancée par Raymond Aron en 1978, poursuivent leur chemin et témoignent certes que le débat n’a pas tout à fait disparu en France.

— Laurent LEMIRE

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