LE DÉCALOGUE, film de Krzysztof Kieslowski
Cinéma de révélation
Loin du propos directement religieux que laisse supposer le titre de la série, Kieslowski élabore ici une réflexion complexe sur les rapports humains. Chaque épisode fonctionne comme un avertissement, grâce à un témoin observateur des scènes (un passant, un clochard, un cycliste...). Ce personnage énigmatique et muet fait office de conscience morale extérieure. Les rencontres, fortuites ou manquées, les coïncidences ponctuent Le Décalogue de signes prémonitoires. Le réalisme des images, au propos souvent funeste, rejoint le jeu épuré des acteurs. L'irrationnel prédomine constamment dans un univers mystique. Les thèmes semblent interchangeables, comme pour former un tout : introduits par une musique similaire, ils ne sont cependant jamais filmés de la même manière.
LeDécalogue met en résonance des scènes du quotidien avec la parole biblique. Chaque scène est tournée en plan d'ensemble, puis en plan rapproché et enfin en gros plan. La caméra dédouble les personnages pour aller les filmer au plus près de leur âme. Prisonniers de ce huis clos, les personnages découvrent leur faillibilité dans la transgression de la loi.
Kieslowski s'intéresse à l'instant présent ; aucun flash-back ne vient bouleverser la chronologie. Si l'un des personnages est amené à revivre son passé, c'est dans le présent qu'il l'affronte et s'explique de son attitude d'alors, quitte à revivre sous l'œil de la caméra des sentiments enfouis. Ce parti pris ancre plus encore les récits qui nous sont faits dans une réalité proche du documentaire, qu'avec le recul des ans le film conserve : il s'agit bien de la vie telle que les Polonais l'ont connue à la fin des années 1980 !
Les dix volets de ce filmapparaissent comme l'autopsie d'une société où le catholicisme, religion nationale, ne serait plus que résiduel. Derrière cette apparente radiographie de la Pologne, mélangeant l'étrangeté et l'invraisemblance, se dessine un scepticisme plus profond. Chaque personnage est présenté dans sa solitude, hanté par un conflit majeur entre foi et raison. Le mysticisme de Kieslowski transparaît dans une écriture dépouillée, proche de celle de Bresson. Le tragique des situations n'appelle aucune réponse spécifique. À chacun de trouver sa propre voie. Et chaque thème s'achève sur le mode d'une interrogation, mettant ainsi en abyme le travail de la loi qui l'accompagne. Dans son triptyque (1992-1993) : Bleu (liberté), Blanc (égalité), Rouge (fraternité), Kieslowski prolongera ses interrogations bibliques sur le modèle de L'Épître aux Corinthiens.
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Écrit par
- Kristian FEIGELSON : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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