LE DÉMON DES ORIGINES, DÉMOGRAPHIE ET EXTRÊME DROITE (H. Le Bras) Fiche de lecture
Le Démon des origines, démographie et extrême droite, publié aux éditions de l'Aube en 1998, est le troisième livre dans lequel Hervé Le Bras entend démonter la manipulation de la démographie par l'extrême droite française. Après une critique du natalisme (Marianne et les lapins, Hachette, 1992) et une défense du droit du sol (Le Sol et le Sang, L'Aube, 1993), il dénonce cette fois le racisme, ou plus exactement sa rencontre insolite avec la construction statistique savante des populations. La thèse peut se résumer ainsi : une simple ressemblance entre la façon dont la démographie énonce son objet – étudier les populations et leur reproduction – et le racisme ses visées – isoler les populations les unes des autres – se transforme en association de fait par l'usage que l'extrême droite fait des résultats produits par les démographes et par la contribution de certains d'entre eux à la propagation des idées de l'extrême droite sur la population. Le livre a rapidement alimenté une vive polémique dans les médias de l'Hexagone. Il soulève cependant deux questions fondamentales : l'une est épistémologique, parce que l'auteur fonde son réquisitoire sur une lecture critique de certains objets et indices d'usage universel dans sa discipline, et l'autre éthique, car il place le chercheur devant sa responsabilité vis-à-vis de la société.
Les phénomènes biologiques, mortalité et fécondité, ont toujours occupé le premier rang dans le développement de la discipline démographique : à l'image de leur place dans l'étalement des taux d'accroissement des pays du monde, dans un moment de l'histoire où le modèle de la nation devenait universel. Maintenant que se profile à l'horizon une convergence planétaire des niveaux nationaux de mortalité et de fécondité, la démographie peut se tourner plus attentivement vers le troisième facteur de la dynamique des populations : la mobilité des individus, qui prend un rôle grandissant dans la croissance différentielle des nations. Tandis que la reproduction des individus peut s'envisager dans sa dimension biologique – la naissance et la mort – la dynamique des populations intègre nécessairement des processus sociaux et politiques : ceux par lesquels les individus peuvent acquérir, perdre ou transmettre la caractéristique qui définit leur appartenance à une population donnée. Une population nationale évolue ainsi sous l'effet combiné d'une croissance dite « naturelle », le solde des naissances et des décès, et de ses lois sur la nationalité. Le racisme préconise la fermeture de la population pour préserver une très illusoire identité raciale de la nation et tend à réfuter la légitimité de ces lois. La démographie doit au contraire adapter ses outils à la réalité sociale. S'intéresser aux populations comme à des ensembles constamment ouverts suppose cependant quelques révisions, parfois déchirantes, de ses postures scientifiques.
Dénatalité ?
La première révision consiste à distinguer sans détour fécondité et remplacement. On entend fréquemment que la population française n'assurerait plus son remplacement, comme d'ailleurs beaucoup d'autres populations européennes. Cette affirmation résulte d'une projection fondée sur le seul constat que l'« indice conjoncturel de fécondité » est inférieur à 2,1, nombre approximatif moyen d'enfants par femme assurant la reproduction d'une génération fermée dans les conditions de mortalité du présent. Estimer le remplacement (futur) par la fécondité (présente) des Françaises d'aujourd'hui est doublement réducteur. C'est d'abord ignorer l'apport des migrations à la natalité. Dans un tableau éloquent, Hervé Le Bras retrace le remplacement réel des générations françaises nées entre 1920 et 1955 –[...]
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Écrit par
- Philippe FARGUES : chercheur à l'Institut national d'études démographiques, professeur invité à l'université Harvard