LE DERNIER GENET. HISTOIRE DES HOMMES INFÂMES (H. Laroche)
Dans le Dernier Genet. Histoire des hommes infâmes (Seuil, Paris, 1997), Hadrien Laroche se penche sur une période peu fréquentée de l'œuvre de Jean Genet, et souvent incomprise : celle qui fut marquée par des interventions dans le débat politique, par le biais d'articles, de préfaces et d'entretiens rassemblés après la mort de l'écrivain par Albert Dichy sous le titre l'Ennemi déclaré (Gallimard, Paris, 1991) et par le récit Un captif amoureux (Gallimard, 1986), publié peu après la mort de l'écrivain et en grande partie consacré à ses séjours auprès des Palestiniens.
Au soir de sa vie, l'auteur du Journal d'un voleur a pris fait et cause pour des mouvements de libération nationale ou des personnalités généralement tenus pour contestables : les Black Panthers, la Fraction armée rouge, Klaus Croissant, Malcolm X, la cause palestinienne. Déconcertants, ces textes politiques ont souvent fait l'objet d'un refoulement laissant percer un embarras certain, tant les positions défendues par l'écrivain apparaissaient inassignables à une logique autre que celle de la provocation ou du blasphème délibéré.
À l'indifférence affichée par le jeune Genet quant au sort de la France défaite et occupée par les troupes nazies a ainsi correspondu, après 1968, une sorte d'attention fiévreuse et fidèle pour les exclus du grand jeu politique.
Embrassant l'œuvre dans son ensemble pour en saisir le dernier état, Hadrien Laroche interroge ce paradoxe afin d'en déchiffrer le centre aveugle. Cette contradiction de l'œuvre n'est qu'apparente. Jean Genet a raconté dans une page célèbre comment, après avoir traité de la « maison natale » dans une rédaction, lue par son instituteur devant toute la classe, il avait eu la révélation de sa marginalité par ses petits camarades : « Il n'a pas de maison, c'est un enfant trouvé. » Par la suite, Genet allait redoubler l'exclusion dont il était l'objet en marquant une violente répulsion pour le thème national, dont témoigne son plaisir à voir la France « corrigée » par l'armée allemande en 1940. Très tôt, cet isolement revendiqué trouvera son corrélat dans une homosexualité mal acceptée par l'adolescent. Dans ses écrits politiques des années 1970 et 1980, il va explorer les voies d 'une « descente en soi vers le rien » bientôt amendée par ce que Hadrien Laroche appelle des « fables ». Notamment, la figure de la pietà est conçue par Genet, dans Un captif amoureux, pour venir réparer le défaut d'origine. Genet attire l'attention sur le nouveau, identifié à l'apparition d'un discours nu, sans religion. Dans un même mouvement, il s'envisage lui-même un temps comme un « homme nouveau ». La condition de son existence est la disparition de la nuit des temps, du processus généalogique. L'écrivain désire la disparition de la nuit des temps tout en étant attiré par le combat avec elle. D'où son intérêt pour le conflit opposant les Palestiniens à l'État d'Israël. On assiste ainsi à un glissement de l'œuvre vers un mythe, symbolisé dans Un captif amoureux par l'évocation du couple – la pietà –, formé par Hamza, incarnation de l'homme nouveau, et sa mère, deux palestiniens rencontrés en Jordanie.
Par le jeu des substitutions, cette figure va permettre à Genet de devenir fils et, du même coup, de s'approprier une mère, de posséder une maison.
Le reflet de la cause palestinienne dans le souvenir de la débâcle française, qui fait coexister chez lui la défaite et la victoire, induit ce qu'Hadrien Laroche caractérise comme un « effondrement » du vocabulaire de l'écrivain, versant politique d'une querelle qui demeure religieuse. Dans la logique de ce discours, les Israéliens sont implicitement envisagés comme des « déicides[...]
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Écrit par
- Philippe DI MEO : traducteur, écrivain, critique littéraire
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