LE DÉSESPÉRÉ, Léon Bloy Fiche de lecture
« Je suis l'auteur du Désespéré, c'est incontestable, mais seulement du Désespéré, et il en sera toujours ainsi, eussé-je écrit cent autres livres », se plaint Léon Bloy (1846-1917) en 1912. De fait, cette œuvre étrange et monstrueuse, à l'appartenance générique des plus hésitantes (roman ? autobiographie ? pamphlet ?), publiée en 1886 chez Soirat, reste aujourd'hui la plus célèbre de son auteur.
La passion de Caïn
Largement inspiré de la propre vie de Bloy, Le Désespéré s'ouvre et se clôt sur une agonie : à la mort du père de Caïn Marchenoir, auquel ce dernier, arrivé trop tard, ne peut apporter un dernier réconfort, répond celle, atroce, du « héros » lui-même, en pleine rue, privé du secours des derniers sacrements. Entre les deux, le récit retrace les étapes d'un chemin de croix. Marchenoir quitte Périgueux pour la Grande-Chartreuse, où il croit un temps trouver la paix dans une retraite monacale. Mais il lui faut bientôt se résoudre à rejoindre, à Paris, Véronique, une jeune prostituée qu'il a recueillie et convertie, et avec laquelle il entretient une relation déchirée entre désir coupable et aspiration à la chasteté. À son arrivée, il apprend que Véronique s'est tondue et brisé les dents pour ne plus plaire aux hommes. Tous deux reprennent leur existence commune, exaltée et misérable. Marchenoir accepte, pour survivre, de collaborer au journalPilate. Mais au cours d'un dîner qui réunit, chez le directeur Beauvivier, quelques figures consacrées du monde des lettres, il provoque un scandale. La dernière partie, intitulée « La fin », est le récit d'un double enfermement : de Véronique dans un mysticisme qui tourne à la démence, et de Marchenoir dans une rage misanthrope qui lui inspire un pamphlet, Le Carcan, dont l'échec commercial l'achève. C'est au retour de l'asile où Véronique vient d'être internée que Marchenoir meurt, écrasé par un camion.
Du roman, Le Désespéré n'a que le nom et l'apparence. Si la structure circulaire semble obéir à une logique narrative somme toute traditionnelle, le récit, en réalité, juxtapose des scènes et des morceaux de bravoure sans véritables liens, de genres et de tons disparates : verve polémique de la satire et du pamphlet, lyrisme de l'exaltation mystique, vision à la fois épique et fantastique du mal et de la souffrance éternels et universels viennent nourrir un flot verbal ininterrompu qui fait du Désespéré une œuvre inclassable.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
Classification