LE DISCOURS PHILOSOPHIQUE (M. Foucault) Fiche de lecture
Le manuscrit du Discours philosophique de Michel Foucault (Gallimard-Seuil, 2023) a été retrouvé dans le fonds que la Bibliothèque nationale de France a acquis en 2013. Celui-ci est composé de près de 40 000 feuillets comprenant des fiches de lecture, les supports écrits de cours ou de conférences, des textes inédits du philosophe. Ce manuscrit, achevé, rédigé dans un style limpide et fluide a été retranscrit et annoté par Daniele Lorenzini et Orazio Irrera.
Ce texte, qui considère la philosophie de Descartes à Husserl comme une seule vaste nappe discursive dont il s’agit d’expliciter les règles de formation, fut rédigé entre les mois de juillet et octobre 1966. Auparavant, au mois de mai 1965, le manuscrit Les Mots et les Choses, qui allait paraître en avril de l’année suivante, avait été déposé par Foucault auprès de son éditeur Pierre Nora. Son succès fut immédiat : la première édition fut épuisée en un mois et demi et tous les hebdomadaires annoncèrent avec fracas l’irruption sur la scène intellectuelle d’une nouvelle philosophie, qu’on désigna alors comme « structuraliste » et qui ravalait les figures de Sartre, Camus ou Merleau-Ponty au rang de penseurs obsolètes. Chacun discutait avec passion l’annonce de la « mort de l’homme » et la proclamation de son « invention » récente. Foucault, de son côté, tenta alors de comprendre, par un étrange sursaut réflexif, les coordonnées générales de cette culture qui avait rendu possible son propre livre et quelle était la place de la philosophie dans ce nouvel horizon théorique dont il était devenu le porte-parole.
Une archéologie de la philosophie
Le texte du Discours philosophique étonne et déroute. On a voulu le présenter comme le « Qu’est-ce que la philosophie ? » de Foucault, qui viendrait compléter les contributions de Heidegger (1955) et de Deleuze (1991). Et il est vrai que les premiers chapitres paraissent s’attacher à cerner l’identité même de la philosophie, d’abord en lui assignant une tâche définie (diagnostiquer « ce que c’est qu’aujourd’hui », « dire ce qu’il y a », chap. 1), puis en la distinguant d’autres entreprises discursives à partir d’un rapport déterminé au « maintenant » (chap. 2). En effet, contrairement à la science qui le neutralise pour établir des vérités anhistoriques, à la parole quotidienne qui le cantonne à sa dimension extralinguistique ou à la littérature qui le disperse au gré des personnages, des voix et des histoires, la philosophie trouve dans ce « maintenant » – qui renvoie tout à la fois à un moment présent, à l’énonciation d’un « je » et à la localisation d’un « ici » – la ressource et la limite de sa quête de vérité : ce qu’elle doit interroger pour l’articuler comme instance de dévoilement de la vérité, ce qu’elle doit analyser pour y débusquer des couches de sens intactes, ce qu’elle doit critiquer pour provoquer des prises de conscience transformatrices, ce qu’elle doit lire et relire, enfin, pour y retrouver le récit même du monde (chap. 7).
Contrairement à ce que cette première présentation générale pourrait laisser croire, il ne s’agit pourtant pas pour Foucault de donner sa propre définition de la philosophiaperennis. Assez vite, du reste, il préfère parler du « discours philosophique », c’est-à-dire de la collection des énoncés conservés dans des livres traditionnellement reçus comme « de philosophie ». Cet ensemble fini d’énoncés, de Descartes à Husserl, en passant par Locke et Hume, par Kant et Hegel, se structure pour Foucault à partir d’une trame discursive singulière, située, secrète. En fait, ils ne répondent pas à des inquiétudes vieilles comme l’humanité, ils ne systématisent pas des intuitions géniales, pas plus qu’ils ne construisent des architectures inouïes à partir de concepts inédits. Alors que font-elles, ces philosophies[...]
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Écrit par
- Frédéric GROS : professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris
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