LE DOCTEUR JIVAGO, Boris Pasternak Fiche de lecture
Unique roman du grand poète russe Boris Pasternak (1890-1960), Le Docteur Jivago, commencé en 1945, est le bilan romanesque d'une vie de poète. Ayant débuté dès 1913 au sein du mouvement futuriste, révélé en 1922 par le recueil lyrique Ma Sœur la vie, écrit en 1917, et marqué par l'euphorie de l'été historique de la révolution, Pasternak est célébré en 1934, malgré les réserves de la critique communiste orthodoxe, comme le plus grand poète soviétique depuis la mort de Maïakovski (1893-1930). Mais il tombe en disgrâce en 1936 pour ses positions non conformistes.
Achevé en 1955, au cours de la période du dégel qui suivit la mort de Staline, Le Docteur Jivago fut proposé sans succès aux éditeurs soviétiques. La résolution de le confier, sans attendre une décision qui ne pouvait être que négative, à un éditeur étranger (l'Italien Feltrinelli), qui en assurerait la diffusion mondiale, représenta pour Pasternak l'acceptation délibérée du martyre. Ce geste brisa en effet un tabou, et mit fin au mythe stalinien d'une soumission spontanée des écrivains à l'autorité du parti. Consécutive à ce coup d'éclat, et au succès mondial d'une œuvre hérétique, l'attribution à Pasternak du prix Nobel de littérature 1958 devait servir de prétexte au déclenchement d'une violente campagne orchestrée par le comité central du parti et l'Union des écrivains soviétiques, qui allait faire du poète un paria, contraint à refuser le prix et à implorer la grâce du pouvoir pour éviter l'exil.
Un destin brisé par l'Histoire
Dès le début des années 1920, Pasternak a entrepris de confronter l'expérience lyrique du monde, qui s'exprime spontanément dans son œuvre poétique, aux injonctions de plus en plus pressantes de l'histoire et de la société. Il va créer pour cela un personnage dont la biographie imaginaire offrirait une illustration exemplaire de ce conflit.
Le héros central du roman, Iouri Jivago, est le dernier avatar de ce personnage. Fils d'un riche marchand acculé au suicide par un homme de loi sans scrupules, il est confié par son tuteur, le philosophe Nicolas Védéniapine, ancien marxiste converti au christianisme (évoquant les artisans de la renaissance chrétienne en Russie tels que Berdiaev et Boulgakov), à une famille de la grande bourgeoisie intellectuelle du Moscou prérévolutionnaire, les Gromeko, dont il épouse la fille Tonia. Sa vocation poétique se développe en marge de ses études et de sa carrière professionnelle de médecin.
La révolution russe, dont la guerre de 1914-1917 n'est à ses yeux que le prélude, va bouleverser le cours de la vie de Iouri Jivago : mobilisé comme médecin, et soigné dans un hôpital du front à la suite d'une blessure, il reconnaît dans l'infirmière Lara, engagée pour retrouver son mari, l'instituteur Pavel Antipov, disparu au cours d'un combat, « la petite fille d'un autre milieu », entrevue quelques années plus tôt au cours d'une scène qui lui a fait pressentir son drame : adolescente, elle a été séduite par le puissant avocat Komarovski, amant et protecteur de sa mère. Iouri Jivago va vivre à ses côtés l'élan unanime de l'été 1917, « où la révolution était un dieu descendu du ciel sur la terre, le dieu de cet été ».
Revenu à Moscou en pleine révolution, et confronté aux pénuries et à la suspicion du nouveau pouvoir, il va chercher refuge avec sa famille dans la lointaine propriété familiale de Varykino, sur le versant sibérien de l'Oural. Dans la ville voisine de Iouriatine, il retrouve Lara, revenue à son métier d'institutrice, et devient son amant. Il est sur le point de rompre cette liaison lorsqu'il est réquisitionné de force par les partisans rouges qui harcèlent les armées blanches de l'amiral Koltchak, maître provisoire de la Sibérie. Évadé après plus d'un[...]
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Écrit par
- Michel AUCOUTURIER : professeur à l'université de Paris-Sorbonne et à l'École normale supérieure
Classification
Média
Autres références
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PASTERNAK BORIS LEONIDOVITCH (1890-1960)
- Écrit par Michel AUCOUTURIER
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- 1 média
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