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LE FANTÔME DE L'OPÉRA, Gaston Leroux Fiche de lecture

Un univers onirique

Avec ce récit « rocambolesque », Leroux s'inscrit dans la lignée des romanciers populaires du xixe siècle, dont il a assimilé les recettes et les ficelles. Le Roi Mystère (1908) déclinait déjà l'un de leurs thèmes favoris, celui du justicier masqué. Rien d'étonnant donc à ce que Le Fantôme de l'opéra recoure à des emprunts plus ou moins conscients à leurs œuvres, ni d'ailleurs à ce qu'il inspire à son tour d'autres romans mettant en scène des créatures diaboliques : Fantômas, de Marcel Allain et Pierre Souvestre (1911-1913), Belphégor, de Pierre Bernède (1927).

C'est d'abord à Jules Verne que l'on pense, dont Le Château des Carpathes (1892) contait les amours tumultueuses de la cantatrice Stilla et du baron de Gorce, qui la retenait prisonnière. De même, le grand orgue sur lequel Erik compose son Don Juan triomphant fait référence à celui du capitaine Nemo dans Vingt Mille Lieues sous les mers(1869). Mais s'il est une œuvre avec laquelle Le Fantôme établit bien des correspondances, c'est Notre-Dame de Paris (1831) de Victor Hugo. Les deux romans sont en effet bâtis sur une histoire assez similaire : celle d'un monstre qui a fait d'un grand monument son domaine et y séquestre une jeune femme. Les similitudes vont même plus loin. L'opéra, dont Leroux évoque avec force détails la hauteur vertigineuse, apparaît comme une cathédrale moderne, mais une cathédrale inversée qui, au lieu de s'élever vers les cieux, s'enfonce dans les entrailles de la terre.

Ces emprunts ou ces réminiscences n'empêchent pas Leroux d'imposer un style personnel, qui se traduit d'abord par le mélange assez curieux de la tragédie et de la farce. Aux épisodes les plus dramatiques succèdent des chapitres comiques, axés sur les rôles bouffes des directeurs ou de la concierge, madame Giry. Cette trivialité affecte jusqu'au personnage d'Erik, dont on apprend finalement qu'il est le fils d'un entrepreneur en maçonnerie des environs de Rouen !

Tout cela résulte en grande partie de la rapidité d'écriture propre au feuilleton, et qui n'est pas loin de l'« écriture automatique » chère aux surréalistes. Ceux-ci sauront y reconnaître bien des aspects de leur univers : le clair-obscur du lac souterrain ; le jeu de miroirs qui transforme la chambre des supplices en une jungle inextricable ; les étranges formules, mises en italiques, qui apparaissent soudain dans le récit et semblent arrachées à un rêve. « Faut-il tourner le scorpion ? Faut-il tourner la sauterelle ? », dit Erik en montrant deux manettes, dont l'une pourrait faire exploser l'opéra.

Il y a bien ici, comme chez les surréalistes, une volonté de faire parler l'inconscient. Le roman lui-même, où la figure du démon perce sous la voix d'ange, où le sublime édifice de l'opéra laisse entrevoir la monstruosité de ses dessous, ne symbolise-t-il pas le surgissement de forces refoulées ? On comprend pourquoi Le Fantôme de l'opéra ne cesse, depuis un siècle, de hanter notre imaginaire.

— Philippe DULAC

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

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