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LE FESTIN NU, William Burroughs Fiche de lecture

Le Festin nu fut composé en 1957 à Tanger par William Burroughs (1914-1997) à partir de son manuscrit Interzone, réorganisé par son ami Allen Ginsberg. Le titre fut suggéré par Jack Kerouac. Selon Burroughs, il « a exactement le sens de ses termes : le festin NU – cet instant pétrifié et glacé où chacun peut voir ce qui est piqué au bout de chaque fourchette ». Publié par Olympia Press à Paris en 1959, le roman ne fut autorisé aux États-Unis qu'en 1962, et sortit victorieux de deux procès pour obscénité. La version définitive date de 1964. Le cinéaste David Cronenberg en a donné une transposition très originale en 1991.

Lié à la beat generation, Burroughs devint avec Naked Lunch l'un des personnages les plus dérangeants de la littérature américaine. Sa satire de la culture universitaire et populaire se combine avec son expérience personnelle de la marginalité, vécue à travers la triple figure du drogué, du fugitif et de l’homosexuel. La longue Préface du roman analyse les rapports du toxicomane à la drogue, qui est la marchandise par excellence : ici, c'est en quelque sorte le consommateur qu'on vend au produit. « Tant que nous n'aurons pas une connaissance plus précise de l'électronique du cerveau, la drogue restera l'élément essentiel de l'Interrogateur chargé d'anéantir la personnalité du sujet. » La drogue, qu'elle soit crime ou maladie, est un phénomène culturel aux implications profondes.

Voyage dans les sociétés de contrôle

Par-delà le récit de l'expérience du drogué, l'entreprise de Burroughs est morale, presque puritaine, sous des aspects pornographiques. Plus largement encore, son projet est politique : l’écrivain dénonce le contrôle exercé par ceux qui détiennent le pouvoir, lance un appel à la résistance en recourant aux registres de la fiction, du documentaire et de la science-fiction (une entreprise qui se prolongera, entre 1966 et 1969, avec la grande trilogie que forment La Machine molle, Le Ticket qui explosa et Nova Express). Archétype du pouvoir, le diabolique docteur Benway, du centre de sa toile, dirige les services de Démoralisation totale dans la république d'Annexie, et montre combien les humains sont sensibles à l'humiliation sexuelle. Le texte énumère à plaisir les formes d’assujettissement qui combinent sadisme et technologie et qui n’épargnent personne. Dans cette utopie négative, ce « gullivérisme » délirant, en effet, les Contrôleurs sont eux-mêmes des intoxiqués du contrôle. Le monde, ici, se répartit entre Factualistes, Divisionistes, Liquéfactionistes et Émissionistes qui assurent leur autorité sur les masses par des manipulations tant biologiques que psychiques. De la république d'Annexie à celle de Libertie, l'humanité se voit soumise à un clivage manichéen, tandis que l'authenticité doit s’effacer devant les impératifs de « l'algèbre du besoin ». Dans son cheminement vers le silence, le narrateur, véritable expérience in vivo, refuse le « vieux coup vénusien », l'orgasme du lobby matriarcal à « l'entrecuisse en nage ». Il vise le « spermanent », lorsque sous le « flash de l'orgasme, Dieu apparaît au fond du cratère anal ».

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  • BURROUGHS WILLIAM (1914-1997)

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    ...de la Casbah en train de regarder la pointe de mes pieds [...], j'ai compris brusquement que je ne faisais rien. J'étais en train de mourir. » Parvenu « au terminus de la came », il écrit un grand nombre de pages qui sont ensuite rassemblées sous le titre d'Interzone. Kerouac et Ginsberg...