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LE GALATÉ AU BOIS, Andrea Zanzotto Fiche de lecture

La littérature italienne contemporaine est riche en très grands poètes. Le plus grand, depuis la mort de Pasolini (1975) et de Montale (1981), est sans doute le Vénitien Andrea Zanzotto, né en 1921 à Pievo di Soligo, dans la province de Trévise, où il n'a cessé de séjourner jusqu'à sa mort en 2011. Paru en 1978, Le Galaté au bois est peut-être le plus systématique des recueils de Zanzotto. Le plus achevé aussi, tout en inaugurant formellement une « trilogie » qu'il préfigure tout entière (Fosfeni, 1983 ; Idioma, 1986).

Un recueil du mourir-pourrir

Le plus définissable ne signifie pas le moins complexe, et plus que jamais Andrea Zanzotto a ici pour « sujet » l'horreur de l'indicible, ou plutôt la dissolution du sujet dans cette horreur. Indicible par excellence du « je ne sais quoi qui n'a plus de nom dans aucune langue », selon l'admirable formule par laquelle Bossuet désignait l'au-delà du cadavre, à savoir le mourir-pourrir. Horreur qui est aussi ravissement d'une descente au plus secret du corps maternel, au plus profond de l'humus où s'étrangle la voix de la jouissance. N'était qu'au fur et à mesure qu'il s'en rapproche, le poète multiplie les figures et les langues susceptibles de différer l'échéance délicieuse du désastre. D'où l'extrême virtuosité et séduction d'un livre on ne peut plus noir.

Comme dans ses recueils précédents (Dietro il paesaggio, 1951 ; Vocativo, 1957 ; La Beltà, 1968 ; Pasque, 1974), Andrea Zanzotto ne cesse de parler de son corps en parlant de sa terre natale. Il lui donne ici un nom qui en résume à la fois la douceur (« douceur, caresse » sont les premiers mots du livre) et l'horreur à la façon des fables : c'est le Bois du titre. Or, au moment même où il l'affuble d'un si joli nom aux échos d'Arcadie, il replonge cette terre du nord de la Vénétie, qui fut l'un des plus grands charniers de la Première Guerre mondiale, dans le « cauchemar de l'histoire ». Comme l'écrit l'auteur : « La grande forêt qui recouvrait cette terre, bien qu'exploitée, demeura presque intacte au cours des siècles ; jusqu'à ce que survienne le temps de sa destruction au lendemain de l'unification du pays. C'est également sur son territoire que se déroulèrent, en 1918, les batailles qui aboutirent à la victoire italienne sur l'Autriche-Hongrie. De ce lieu unique il ne subsiste aujourd'hui que des lambeaux de zones boisées, des villas pour week-ends, des lotissements agricoles – et pourtant, quelque chose de la Grande Forêt, de sa beauté et de sa vigueur y plane toujours comme un remords, un souvenir sur un terrain vague. Tout est encore possible sur cette terre hypersédimentée. »

D'emblée, la parole poétique se trouve donc écartelée entre les deux pôles d'une double impossibilité : renouer avec la jubilation naïve de la littérature d'antan et capter l'inaudible langue des morts dans le fourmillement moléculaire de la chimie végétale où ils se survivent. Toute une imagination minimale, mi-fœtale mi-fécale, alterne ainsi avec une éblouissante traversée, à la fois parodique et nostalgique, des langages historiques les plus ornés. Cette rhétorique fait parade de ses prestiges au cœur même du livre, avec un Hypersonnet du pétrarquisme le plus exquis, composé d'autant de sonnets qu'il est contenu de vers dans un sonnet, et se trouve exhibée jusque dans le titre du livre, Il Galateo in bosco, qui exige deux mots de commentaire pour le lecteur français. En effet, il ne s'agit pas ici de la nymphe Galatée, mais du titre donné par Monseigneur Giovanni Della Casa à son Art de plaire dans les compagnies (posthume, 1558), titre depuis longtemps passé dans la langue comme nom commun (masculin singulier : galateo) pour[...]

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