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LE GALATÉ AU BOIS, Andrea Zanzotto Fiche de lecture

Un creuset littéraire

Forêt de 1683 qui est aussi bien la forêt enchantée de La Jérusalem délivrée du Tasse, ou la forêt maudite du péché dans laquelle Dante s'égare au premier chant de l'Enfer, avatar de la « selva amara » de saint Augustin, ailleurs inversée par Zanzotto lui-même en fallacieuse « forêt de miel » : « À l'heure de feu/ où dans la forêt de miel tout repose/ et tous/ sucent le miel du sommeil » (Vocativo). On pensera aussi à la traversée d'Holzwege, ces sentiers heideggériens ne menant à aucun lieu... On n'en finirait plus d'identifier et d'énumérer les échos, proches ou lointains, dont résonne la polyglotte et pluriséculaire forêt zanzottienne : « Quel réconfort serait une pierre aux jours perdus :/ mais quelle pierre parmi d'erratiques décombres,/ quelle écaille de gravas sans nombre identifierais-je, las, dans le bois touffu ? » Il est au moins une voix toute proche, dans le temps et dans l'espace, qu'il faut à la fois apprendre à entendre et à distinguer de celle de Zanzotto, tant elle y est intimement, fraternellement mêlée : c'est la voix mythique, et mythiquement « vénitienne », de Giovanni Comisso (1895-1969), dont le journal de guerre (Giorni di guerra, 1930) a la grâce apollinarienne des Poèmes à Lou.

Livre de jouissance, fût-ce sur les traces de l'insaisissable et de l'irrémédiablement perdu, le Galateo est aussi un livre de haine. À côté des langues de plaisir, toutes plus ou moins maternelles, où l'épreuve même du manque prend encore la forme d'un jeu, il y a la mauvaise langue par excellence : la langue de la patrie, la langue sans réplique, la rhétorique qui trompe et qui tue. La langue qui fait vomir sous peine de s'étouffer.

Seule lueur dans l'horreur : celle-ci est la porte de la pitié ; elle marque le seuil de la compassion fraternelle avec la multitude de ses victimes et permet l'apprentissage de la langue des morts. Mais, de même que l'indignation, la haine, la nausée elle-même sont encore des esquives, et n'expriment que le refus de se mettre à l'écoute du langage inarticulé des morts, celui-ci n'est à son tour qu'une simple métaphore de la mort sans cesse à l'œuvre dans la parole du poète, dans ses figures les plus déliées comme dans ses lapsus et ses dissonances, sa magnificence, son obscénité. Obscénité qui caractérise non seulement ce que dit cette langue, mais plus encore ses déjections et ses ratés, signes d'un langage en décomposition dans la décharge de l'histoire.

— Jean-Michel GARDAIR

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