LE GARÇON ET LE HÉRON (Miyazaki Hayao)
« Les sentiers qui bifurquent »
Le modèle de l’Alice de Lewis Carroll est présent, l’entrée dans le monde fantastique et onirique ressemblant à une chute dans le vide. L’itinéraire du jeune héros, attiré comme Alice par un animal bavard et revêche, s’avérera plus erratique encore. Car Miyazaki est résolu à développer son imagination de thaumaturge dans toutes les directions, le spectateur étant prié d’accepter de ne pas tout comprendre, d’être introduit dans un « jardin aux sentiers qui bifurquent », pour reprendre le titre de la nouvelle de Jorge Luis Borges. On sait déjà en regardant Le Garçon et le Héron qu’il supportera de nombreuses visions, qu’on y découvrira de nouvelles richesses à chaque confrontation. Comme l’explique Marie-Pauline Mollaret, « …on a le sentiment d’être propulsé au cœur de la matrice des films de Miyazaki, dans ce lieu mental (symbolisé par un couloir aux nombreuses portes, chacune donnant sur un monde différent) où naissent et s’expérimentent les idées. […] On assiste ainsi symboliquement à la création en train de se faire, et à une démonstration virtuose de son pouvoir illimité » (L’Avant-Scène cinéma, nos 707-708).
L’esthétique demeure celle, magnifiée, du manga, qui fut le premier art de Miyazaki. On reste surpris, comme toujours, devant les traits « européanisés » des protagonistes, devant leur environnement qui mêle l’architecture, le mobilier, les décors occidentaux aux pratiques culturelles et sociétales proprement japonaises. Les sept « mamies » qui entourent et protègent Mahito dans sa nouvelle maison apparaissent comme des figures burlesques tout à fait japonaises ; les mondes que le jeune héros traverse s’identifient à des univers toujours renouvelés. Monde animal souvent monstrueux, végétal, aquatique, céleste, jusqu’à l’arrivée dans un lieu étrangement géométrique : l’entassement de cubes en équilibre de la fin du film prend des proportions vertigineuses. Le dessin des personnages reste stylisé, mais ceux-ci se déplacent dans des espaces où les objets sont composés sur un mode hyperréaliste, obligeant sans cesse le public à diriger son regard vers de minuscules détails – vaisselle, mobilier, bibelots, aménagement des intérieurs. On est confronté à une profusion esthétique et narrative presque inépuisable : une seule vision du film laissera certainement le spectateur en suspens. C’est ce qui distingue les grandes œuvres.
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Écrit par
- René MARX : critique de cinéma
Classification
Média