GRAND JEU LE
Chronique d'une mort annoncée
Breton n'entend pas rester sur un tel échec. Non content de sommer Daumal de rejoindre le groupe surréaliste (Second Manifeste du surréalisme), il va, secondé par Aragon, tenter de débaucher un membre éminent du Grand Jeu : Rolland de Renéville. En dépit des mises en garde de Daumal et Gilbert-Lecomte, en dépit même de son premier geste de refus, Rolland de Renéville collabore à La Révolution surréaliste. Sa réponse à l'« Enquête sur l'amour » figure en bonne place parmi les réponses des surréalistes. D'autres tentatives suivront sans que Rolland de Renéville cède. Mais il est désormais suspect aux yeux de certains de ses compagnons qui voient en lui un « contre-révolutionnaire ». Si le troisième et dernier numéro de la revue paraît bien en octobre 1930 avec l'admirable réponse de Daumal à Breton (Lettre ouverte à André Breton sur les rapports du surréalisme et du Grand Jeu), l'agonie du groupe a commencé : Gilbert-Lecomte s'enfonce dans la drogue, Daumal s'éloigne lentement, pris dans les rets d'Alexandre de Salzmann qui l'introduit à la pensée de Gurdjieff. L'année 1932 marque la fin de l'existence officielle du Grand Jeu. Une fois encore, c'est par les surréalistes, Aragon en l'occurrence, que va éclater la crise fatale.
Ce que l'on a coutume d'appeler « l'affaire Aragon » se déroule en deux temps. La première phase a lieu en janvier 1932, lorsque les surréalistes lancent une pétition en faveur d'Aragon, récemment inculpé pour avoir publié un poème, « Front rouge » (Littérature, novembre 1931), qui constituerait une incitation à la désobéissance et au meurtre. De tous les membres du Grand Jeu, Rolland de Renéville est le seul à refuser de signer une pétition qui, à ses yeux, est une défense non pas de la poésie, comme l'affirment les surréalistes, mais de la liberté de la presse. Ce refus renforce la suspicion dans laquelle le tiennent certains membres du groupe – Pierre Audard et André Delons notamment. Rolland de Renéville offre sa démission, mais Daumal et Gilbert-Lecomte la refusent.
La seconde phase, celle qui sera décisive, débute en septembre 1932. Dans La Nouvelle Revue française de ce mois, Rolland de Renéville publie un article consacré à Persécuteur persécuté d'Aragon, ouvrage reprenant le poème incriminé. Alors que Delons et Audard s'attendent à une défense tardive d'Aragon, Rolland de Renéville enfonce le clou : il explique que ce poème, parce qu'il « se résigne à rythmer l'action, et par conséquent à soumettre le pas du poète au pas de l'humanité », perd de vue ses possibilités bouleversantes, se transformant ainsi en poésie « régressive par rapport aux expériences qui se placent devant elle ». Cet article met le feu aux poudres. Le processus de désagrégation du groupe s'accélère pour en arriver à l'éclatement définitif dans les premiers jours de 1933.
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Écrit par
- Patrick KRÉMER : écrivain
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