LE GRAND SOMMEIL, Raymond Chandler Fiche de lecture
Pour composer son roman, Le Grand Sommeil, Raymond Chandler (1888-1959) emprunta des thèmes et des personnages à ses nouvelles, « The Curtain » et « Killer in the Rain ».
L'intrigue est assez simple : le général Sternwood fait appel au détective Philip Marlowe pour démasquer un maître chanteur qui s'en prend à lui. Le privé découvre bientôt plusieurs entreprises de chantage. Ce faisant, il révèle la corruption, la culpabilité, et la malversation qui l'entourent. Il existe bien quelques personnes honnêtes comme le général lui-même, son gendre, mystérieusement disparu ; et l'indéfectible loyauté de Sternwood trouve son égale en celle de Harry Jones, petit malfrat qui reste fidèle à son amie avide et égoïste, et s'empoisonne au cyanure plutôt que de la trahir.
Un privé à Babylone
Si Marlowe aime l'alcool, les femmes semblent lui donner la nausée. Ainsi le voit-on résister à la séduction de Carmen et Viviane, les filles Sternwood. Quand il découvre dans son lit la cadette qui l'attend toute nue, il perçoit immédiatement le mal, car « sa bouche émettait un sifflement de serpent ». La femme apparaît surtout en tentatrice et en pécheresse ; si les hommes tuent, le crime central du roman est bien l'œuvre d'une femme – en l'occurrence Carmen. De même le ressort de la violence qui anime les personnages se trouve souvent dans la peur qu'elles inspirent. C'est le cas dans Le Grand Sommeil, tout comme dans Adieu ma jolie (1940) ou La Dame du lac (1943).
Chandler construit le roman autour de son détective. Ni Superman ni Sherlock Holmes, il arrive à celui-ci de tomber sur plus fort que lui et de se tromper dans ses déductions. Mais les années lui donnent du charme : il est cultivé, et reste humain sous les dehors du privé qui en a vu d'autres. Surtout, il parvient à conserver ces vertus dans les milieux sordides et déprimants de Los Angeles où il enquête. Chevalier errant dans un monde qui n'a rien de chevaleresque, Marlowe n'échappe à l'absurdité que grâce à son sens de l'humour. La dimension parodique de l'œuvre, subtile mais essentielle, ajoute au roman un piment supplémentaire. L'humour s'exerce même à l'égard du genre du « thriller ».
Homme d'expérience, lucide, Marlowe déteste les riches à qui la fortune fait généralement perdre toute authenticité. Son univers est essentiellement moral, aux limites du puritanisme. Mais on ne cherchera pas chez lui la critique sociale et politique qui sous-tend par exemple les œuvres de Dashiell Hammett.
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Écrit par
- Michel FABRE : professeur émérite
Classification
Média