LE HAVRE et L'AUTRE CÔTÉ DE L'ESPOIR (A. Kaurismäki)
Aki Kaurismäki aborde la thématique de l’immigration avec deux longs-métrages humanistes et singuliers. Réalisé en France, Le Havre (2011) a été sélectionné au festival de Cannes et récompensé par le prix Louis-Delluc. L’Autre Côté de l’espoir (Toivontuollapuolen, 2017), produit à Helsinki, a valu à Kaurismäki l’ours d’argent du meilleur réalisateur à la Berlinale.
Une fable sociale
Dans Le Havre, coproduction franco-finnoise, le réalisateur réemploie plusieurs acteurs et personnages qui figuraient dans son film La Vie de bohème (1991), à commencer par le protagoniste principal, Marcel Marx (André Wilms). Le voici donc au Havre, maintenu à flot par Arletty (sic !), interprétée par Kati Outinen, l’actrice fétiche du cinéaste. Monsieur Marx, ex-écrivain, est devenu cireur de chaussures. À son tour, il porte secours à Idrissa (Blondin Miguel), un divin enfant, un Moïse arrivé clandestinement dans le container d’un paquebot.
Kaurismäki décrit personnages et situations dans un style teinté de réalisme poétique et se réfère à Jean Vigo, au duo Prévert-Carné, à Damia. Gloire du rock havrais, Little Bob est également présent. Au cours du film, nous nous attachons à la vie d’une petite communauté de lumpenprolétaires, une collectivité morale fondée sur l’entraide. Comme dans La Vie de bohème, le film revêt une dimension mélodramatique où dominent le thème de la maladie incurable de l’héroïne, la figure de l’orphelin séparé de sa famille, l’empathie avec laquelle est analysée l’exclusion sociale. On ne peut s’empêcher de songer au Kid (1921) et à The Immigrant (1917) de Charles Chaplin.
Le style personnel du cinéaste use des codes du tragi-comique sans le réduire à un objet larmoyant. Sans pathos aucun, oscillant entre Bertolt Brecht et Buster Keaton, Kaurismäki se situe à distance de sa fable à laquelle il intègre des éléments tirés de l’actualité la plus brûlante tels que le reportage télévisé montrant le démantèlement de la « jungle » de Calais en 2009. Les dialogues, très écrits, sont toujours proférés sur un ton théâtral, par des interprètes au jeu bressonien, s’exprimant d’une voix neutre ou blanche, comme on le voit dans la courte scène avec Jean-Pierre Léaud. Par contraste, l’image, extrêmement soignée, tranche par des couleurs saturées qui rappellent celles du photographe William Eggleston. Sans avoir eu à ripoliner les façades de la ville comme l’avait fait Jacques Demy pour ses Demoiselles de Rochefort (1967), c’est par sa connaissance de la peinture et des moyens photographiques que Kaurismäki « recompose » les quartiers du Havre retenus après repérage ‒ par ses nets cadrages, ses angles audacieux, les inserts déroutants et ses recours aux artifices d’éclairage.
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Écrit par
- Nicole GABRIEL : agrégée d'allemand, maître de conférences en civilisation germanique à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot
Classification
Média