LE HAVRE et L'AUTRE CÔTÉ DE L'ESPOIR (A. Kaurismäki)
Destins croisés
Fiction conjuguée au présent avec des allures de documentaire, L’AutreCôté de l’espoir évoque le quotidien de Khaled (Sherwan Haji), un exilé syrien qui a fui les bombardements d’Alep : son arrivée clandestine dans la soute à charbon d’un navire, sa première douche, sa première visite au commissariat de police où il dépose sa demande d’asile, l’accueil dans un centre pour réfugiés, l’examen de sa requête par une juge, en présence d’un interprète. Sans surprise, la requête est rejetée. Ces scènes, filmées au plus juste, interprétées par des acteurs professionnels, nous introduisent dans un univers étrange et quelquefois saugrenu. Certains détails peuvent en effet déconcerter le spectateur – on pense à l’équipement des policiers qui tapent avec deux doigts sur des ordinateurs IBM qui ont la désuétude du téléphone du Havre. L’imperturbabilité, la lenteur, les tons jaunes et bruns et les ombres gigantesques accentuent l’expressionnisme des scènes d’intérieur.
Scandant le récit de plans de musiciens de rock se produisant dans la rue, Kaurismäki continue à nous désarçonner en suivant un second fil narratif : l’histoire de Waldemar (Sakari Kuosmanen), un représentant de commerce quinquagénaire qui décide de quitter sa femme et de changer de vie. L’argent gagné dans une partie de poker va lui permettre d’acquérir un modeste restaurant. En montage parallèle nous sont dépeintes la destinée du nouvel entrepreneur et celle du migrant syrien qui finissent par se rencontrer dans le local à poubelles du bistrot, où ce dernier s’était abrité. L’entraide, ici encore, entre alors en jeu, Khaled se voyant, dans une sorte de miracle laïc, proposer un petit boulot par le gargotier finlandais. Le restaurant a tout du décor de théâtre. Un juke-box des années 1950 y trône au milieu d’un mobilier défraîchi, sous des abat-jour antiques. Patron et employés, filmés frontalement, assez souvent en gros plan, y gardent la même mine impassible. Dans le monde à part imaginé par l’auteur, no man’s land et enclave intemporelle, danse une humanité marquée par les ans et les épreuves de la vie. La réalité est en dehors de ce dancing. C’est celle, pleine de menaces, de la rue.
Il convient de mentionner la contribution du chef opérateur de Kaurismäki, Timo Salminen, aux deux films. À chaque fois, la loufoquerie de la mise en scène le partage avec la gravité, le dosage des deux effets produisant un effet comique. Des anachronismes sont coquettement glissés dans les deux récits. Le goût du cinéaste pour les choses humbles et surannées transparaît par exemple avec un emballage de Paic Mousse d’un jaune claquant posé au coin d’un évier, un portable cohabitant avec un téléphone à cadran en Bakélite noire, des modèles de véhicules de police d’autres temps et d’autres lieux, des machines à écrire datant des années 1970. Ce déplacement permet à une forme de réalisme poétique de toucher ici à l’universel.
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Écrit par
- Nicole GABRIEL : agrégée d'allemand, maître de conférences en civilisation germanique à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot
Classification
Média