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LE HORLA, Guy de Maupassant Fiche de lecture

Journal d'un « halluciné raisonnant »

Il est tentant d'éclairer « Le Horla »à la lumière de la biographie de Maupassant, lui qui, d'une certaine façon, aura été tout au long de sa vie accompagné par la folie : son frère Hervé sera interné à plusieurs reprises, et lui-même évoquera ses fréquentes crises d'angoisse, ses hallucinations, ses troubles de l'identité. Et c'est peu dire que son œuvre s'en est abondamment nourrie. « Un fou ? », « Lettre d'un fou », « Lui ? », « La Chevelure », « La Peur », « L'Auberge », « La Petite Roque », « Berthe », etc. : autant de récits qui tournent autour de ce motif obsédant. Celui-ci doit également être replacé dans le contexte d'une époque passionnée par le fonctionnement du cerveau humain et ses dérèglements (les recherches sur l'aliénation mentale se multiplient ; à l’hôpital de la Salepêtrière, le professeur Charcot, dont Maupassant suivra un temps le cours, étudie l'hystérie), mais également fascinée par les phénomènes paranormaux (magnétisme, spiritisme, télépathie, télékinésie, etc.).

La littérature fantastique de cette fin de siècle puise simultanément à ces deux sources à la frontière encore mal définie, où se tient d'un bout à l'autre « Le Horla ». D'un côté, le discours intérieur du narrateur s'enfonçant peu à peu dans la folie tout en s'efforçant de rechercher des causes rationnelles et d'analyser lucidement son état. De l'autre, les ouvertures vers la « réalité » extérieure de phénomènes inexpliqués : le cocher souffrant du même mal, l'épidémie de folie du Brésil, les bruits de verre cassé entendus par les domestiques... De fait, « Le Horla » aurait aussi bien pu porter le titre de deux autres nouvelles de Maupassant, « Fou ? » et « Un fou ? » :l'interrogation persistera jusqu'à la fin.

Par sa nature, en effet, la folie est ici porteuse de sa propre mise en doute. Elle sape la conscience et l'identité même de celui qu'elle atteint, le moi se trouvant investi, dominé, et, plus encore, littéralement absorbé par l'autre :« Cette nuit, j'ai senti quelqu'un accroupi sur moi, et qui, sa bouche sur la mienne, buvait ma vie entre mes lèvres. » Le nom « horla » a donné lieu à diverses interprétations : « hors là » comme « venu d'ailleurs », mais aussi comme « au-delà d'ici », autrement dit « surhomme », ou encore quasi anagramme de « choléra », souvenir possible de l'épidémie qui sévit en 1884 dans le sud de la France. Avec cet être sans présence visible ni tangible, cependant doté d'une existence matérielle capable de faire écran entre le sujet et son miroir, on retrouve naturellement le motif du double qui hante la littérature fantastique du xixe siècle, et bien au-delà.

On comprendra que cette dissolution de l'être, à certains égards pire que la mort, provoque chez le narrateur une terreur infinie – le suicide apparaissant peut-être comme une tentative de réappropriation, puisque le dernier mot revient au « moi » qui clôt le récit. Tout l'art de Maupassant consiste à faire partager au lecteur cette terreur. La forme du journal, immédiat, intime et fragmentaire, et un style évoluant au fil du texte, de plus en plus heurté et expressif, finissant par mimer littéralement le désordre mental, y contribuent grandement. Ils témoignent de la maîtrise d'une écriture difficilement réductible aux pathologies, par ailleurs bien réelles, de l'auteur.

— Guy BELZANE

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<em>Le Horla</em> (G. de Maupassant), illustration de Guillaume Sorel - crédits :  Le Horla, Guillaume Sorel, Rue de Sèvres, Paris 2014

Le Horla (G. de Maupassant), illustration de Guillaume Sorel