LE ISTITUTIONI HARMONICHE, G. Zarlino
Le compositeur et théoricien italien Gioseffe Zarlino (1517-1590) a joué un rôle fondamental dans ce que l'on peut qualifier de première révolution musicale. Son traité le plus important, Le Istitutioni harmoniche, divise in quattro parti (« Les Institutions harmoniques, divisé en quatre parties »), publié à Venise en 1558, présente une synthèse des différentes théories musicales de l'Antiquité, du Moyen Âge et de la Renaissance, ainsi que des diverses méthodes de composition en usage au xvie siècle. Zarlino y expose en particulier les caractéristiques d'une gamme dont les intervalles sont définis de la manière la plus « naturelle » possible. Le système de Zarlino, bien qu'imparfait, et qui sera combattu par un de ses élèves, Vincenzo Galilei, dans Discorso intorno all'opere di Messer Gioseffo Zarlino da Chioggia (1589), ainsi que par le théoricien Giovanni Maria Artusi, régnera en maître jusqu'à la fin du xviie siècle, avant d'être supplanté par la gamme dite tempérée.
Fondements des « Istitutioni harmoniche »
Toute musique présupposant une sélection et une codification de sons reproductibles et transposables, l'Occident a mis au point une structure, la gamme, c'est-à-dire une série de notes qui se succèdent dans l'intervalle d'une octave. Construire une gamme c'est donc procéder à un découpage de l'octave en intervalles ; selon l'époque et le lieu, ce découpage a donné naissance à des gammes différentes.
Au xie siècle, deux profondes révolutions modifient le cours de la musique occidentale : d'une part, le passage de la monodie à la polyphonie ; d'autre part, l'utilisation des tierces et des sixtes comme intervalles consonants.
La polyphonie consiste à faire entendre simultanément plusieurs lignes mélodiques. Mais, si les voix sont totalement indépendantes, il en résulte la pire des cacophonies ; inversement, si elles se confondent complètement – en étant par exemple à l'unisson ou à l'octave –, il n'y a alors guère de différence avec une musique à une seule voix. La polyphonie exige donc quelques règles, la plus importante étant que les sons émis simultanément forment un accord consonant, c'est-à-dire agréable, d'abord constitué d'unissons, d'octaves, de quintes ou de quartes. Puis l'usage des tierces et des sixtes commença à se répandre, mais de manière moins fréquente que celui de l'intervalle d'octave, de la quinte et de la quarte. Celles-ci furent considérées comme des consonances parfaites, les tierces et les sixtes comme des consonances imparfaites.
Dans la première partie des Istitutioni harmoniche, Zarlino expose les bases philosophiques, cosmogoniques et mathématiques de la musique ; la deuxième partie est consacrée à une analyse du système tonal de la Grèce ancienne ; dans les troisième et quatrième parties (Quel che sia Contrapunto : « L'Art du contrepoint », et Quello che sia Modo : « Sur les modes »), Zarlino formule les fondements de son système, qui repose sur le nombre 6, les consonances correspondant à des sons émis par des cordes vibrantes de longueurs 1, 1/2, 1/3, 1/4, 1/5 et 1/6.
Pour Zarlino, les nombres qui figurent dans les rapports de consonance sont donc tous pris dans l'ensemble des six premiers entiers, l'octave (2/1) mettant en œuvre 1 et 2. Pourquoi cette limitation au nombre 6 ? Zarlino invoque des arguments d'autant plus nombreux qu'ils sont tous moins assurés les uns que les autres.
La première raison est de nature pythagoricienne : 6 est le plus petit des nombres parfaits, c'est-à-dire des nombres qui sont égaux à la somme de leurs facteurs premiers (1 × 2 × 3 = 1 + 2 + 3). Mais 6 est aussi un nombre porteur de symboles : il s'agit du nombre de jours qui ont été nécessaires à Dieu pour créer le monde ; c'est également[...]
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Écrit par
- Juliette GARRIGUES : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)
Classification
Média