LE JARDIN DES FINZI-CONTINI, Giorgio Bassani Fiche de lecture
Giorgio Bassani (1916-2000), qui a réuni ses nouvelles sous le titre d'Histoires ferraraises et baptisé Le Roman de Ferrare l'édition définitive de ses romans, assure qu'il n'a jamais écrit qu'un seul livre : il est en effet le chroniqueur de la communauté juive de Ferrare et son œuvre est dominée par le sentiment d'exclusion qui apparente le juif, l'homosexuel (Les Lunettes d'or, 1956-1958) et l'adolescent qui ne parvient pas à s'affirmer (Derrière la porte, 1964). En 1962, il a obtenu le prix Viareggio pour son chef-d'œuvre longuement mûri, Le Jardin des Finzi-Contini.
Bassani avait vingt-deux ans lorsqu'il dut recourir à une fausse identité pour échapper aux persécutions raciales. Pour témoigner de l'Holocauste, son imagination créatrice a réussi à restituer un lieu de mémoire privé, riche de petits faits vrais et de symboles, où le personnel atteint à l'universel.
Un roman-tombeau
Survivant du génocide, le narrateur du Jardin des Finzi-Contini décide, en visitant les tombeaux étrusques qu'il perçoit comme un pluriséculaire rempart contre l'oubli, d'ériger par l'écriture un monument à la mémoire d'une famille aristocratique juive anéantie. Le livre se construit autour de la figure de Micòl, la fille aux cheveux de lin qui avait naguère ébloui le garçonnet. À ses yeux d'enfant, elle et son frère Alberto appartenaient au monde inaccessible des élus, que ce soit dans le fiacre qui les amenait au lycée, sous le talèd paternel dans la synagogue ou derrière les murs du fabuleux « jardin », le grand parc de leur magna domus.
La scène où la fillette a invité le narrateur enfant à escalader le mur pour pénétrer dans le jardin, à l'insu du gardien, marque le premier temps d'une initiation sentimentale et intellectuelle ; avènement primordial qui fait basculer l'histoire dans le mythe d'un âge d'or à jamais révolu, où le temps est suspendu : « Combien d'années se sont-elles écoulées depuis ce lointain après-midi de juin ? Plus de trente. Toutefois, si je ferme les yeux, Micòl Finzi-Contini est encore là, appuyée sur le mur d'enceinte de son jardin qui me regarde et qui me parle. » En suivant un rituel immuable, cette grande famille, qui se tenait à distance de ses coreligionnaires, semblait vouloir se tenir à l'écart de l'Histoire, comme si elle pressentait la catastrophe à venir.
À l'idylle enfantine succède le temps des inhibitions et de la confusion des sentiments : lorsque l'adolescent se retrouve en tête à tête dans le fiacre avec celle dont il est amoureux sans le savoir clairement, il n'ose pas l'embrasser : « Pour moi aussi bien que pour elle, plus que la possession des choses comptait le souvenir que j'avais d'elles. » Cette manière délétère de cultiver le passé (« notre vice : aller de l'avant la tête tournée en arrière ») ne peut être sublimée que par une éthique et une poétique du souvenir.
Alors que Micòl s'est acheminée vers Venise où la mort l'attend, le jeune homme traverse une dernière fois dans la nuit et le brouillard le jardin à jamais sauvegardé dans l'écrin de sa mémoire, « presque heureux » au point qu'« incorrigible enfant », il escalade à nouveau le mur là où se trouve encore l'échelle par laquelle Micòl lui était apparue, mais en effectuant le chemin inverse, du lieu secret et édénique vers ce monde d'horreurs où il faut tenter de survivre.
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Écrit par
- Gilbert BOSETTI : professeur émérite à l'université Stendhal, Grenoble
Classification
Autres références
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BASSANI GIORGIO (1916-2000)
- Écrit par Mario FUSCO
- 1 595 mots
Ce thème, qui parcourt les nouvelles et que développait, sur deux registres parallèles, le bref et admirable roman intitulé Les Lunettes d'or, reparaît dans Le Jardin des Finzi-Contini, publié en 1962, qui rassemble et élargit tous les thèmes que Bassani avait traités précédemment. L'immense...