LE JARDIN DES PLANTES (C. Simon) Fiche de lecture
Le Jardin des Plantes de Claude Simon (éditions de Minuit, Paris) a constitué l'événement de la rentrée littéraire 1997. L'attribution à l'écrivain du prix Nobel de littérature en 1989 avait scandalisé une partie de la critique littéraire. Puis, insensiblement, elle a fait de lui un « classique » et consacré indirectement une génération et une esthétique : le Nouveau Roman. Depuis, Claude Simon est célébré comme le plus grand écrivain français, et la presse, à chaque nouvelle parution, multiplie interviews et articles. C'est pourquoi Le Jardin des Plantes a été accueilli avec cette déférence propre à une société où la littérature est devenue en grande partie commémoration, c'est-à-dire spectacle littéraire. Et cela d'autant plus que, depuis L'Acacia, publié en 1989 et qui devait avoir pour sous-titre « Une éducation sentimentale », la dimension autobiographique de l'écriture de Claude Simon, plus explicite encore à partir de ce livre, rendait cette œuvre moins « illisible » et mieux recevable. On retrouvait un écrivain face à sa mémoire, posture qui, somme toute, depuis Rousseau ou Chateaubriand, reste un topique rassurant.
Aussi, face à ce livre, risque-t-on d'être partagé entre admiration et lassitude. Admiration pour un grand écrivain et un grand livre ; lassitude face à une reconnaissance qui va jusqu'à affirmer dans Le Monde, sous la plume de Josyane Savigneau : « Cet homme né en 1913 vient de terminer un livre... de jeune homme, Le Jardin des Plantes, un récit provocant, énergique, drôle, qui fait paraître bien vieillots, compassés, sans style bien des romans publiés cet automne, écrits par des supposés jeunes gens » (19 septembre 1997) ; un Claude Simon qui s'entretient dans la même livraison avec Philippe Sollers, « l'un de ses cadets », et qui résiste aux avances, plutôt qu'aux avancées, de l'auteur de Femmes. Dans Le Jardin des Plantes, un des narrateurs, S., est ainsi interviewé par un journaliste, bien plus sur sa vie que sur son œuvre...
Il faut donc sortir Claude Simon des manipulations qui relèvent d'abord d'un éternel conflit de générations. Un peu de la même manière que le Parnasse vieillissant (avec une théorie de l'art pour l'art qui n'est pas sans rapport dans ses stratégies avec le Nouveau Roman) a pu faire le blocus contre les générations suivantes. Le Jardin des Plantes est un chef-d'œuvre au sens artisanal du mot, le livre d'un grand artiste, et non une machine de guerre.
Il s'ouvre sur deux citations. La première de Montaigne : « Aucun ne fait certain dessain de sa vie, et n'en délibérons qu'à parcelles. [...] Nous sommes tous de lopins et d'une contexture si informe et diverse, que chaque pièce, chaque momant faict son jeu. » Une seconde de Dostoïevski : « Traîner l'intimité de mon âme et une jolie description de mes sentiments sur leur marché littéraire serait à mes yeux une inconvenance et une bassesse. Je prévois cependant, non sans déplaisir, qu'il sera probablement impossible d'éviter complètement les descriptions de sentiments et les réflexions (peut-être même vulgaires) : tant démoralise l'homme tout travail littéraire, même entrepris uniquement pour soi. »
Montaigne introduit la figure qui donne son titre à cet ensemble : Le Jardin des Plantes, dont la description renvoie à la structure du livre. Un espace qui n'est plus la nature (le vécu) mais la nature déconstruite puis reconstruite dans le temps même de l'écriture : « un jardin aux sentiers qui bifurquent », qui se réécrit sans cesse sous les pas du promeneur. La citation de Dostoïevski est un avertissement laissé au lecteur de ne pas lire ce texte comme un « témoignage », de ne pas y voir une autobiographie vulgaire ou, en termes structuralistes,[...]
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Écrit par
- Jean-Didier WAGNEUR
: critique littéraire à la
N.R.F. et àLibération
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