LE JEUNE STALINE (S. Sebag Montefiore)
Après le succès mondial de Staline : la cour du Tsar rouge, le journaliste britannique, romancier et présentateur de télévision Simon Sebag Montefiore s'est attaqué à la jeunesse du futur dictateur dans Le Jeune Staline (Calmann-Lévy, Paris, 2008). Dès l'introduction, l'auteur annonce son parti pris de narrer par le menu la « vie intime et secrète » de Staline car, explique-t-il, « les personnalités et le patronage d'une minuscule oligarchie furent l'essence de la politique sous Lénine et sous Staline comme ils l'avaient été sous les Romanov – et comme ils le sont aujourd'hui encore dans la démocratie dirigée de la Russie ».
À partir d'archives inédites ouvertes depuis peu à Tbilissi et à Moscou principalement, Simon Sebag Montefiore donne à lire une histoire intime de l'homme, du politicien et de son milieu. Émerge un tableau saisissant – mais pour partie déjà connu, grâce notamment à la remarquable étude, écrite dans les années 1970, de Robert Tucker, Stalin as Revolutionary – des quarante premières années de Staline, de sa naissance dans la famille d'un pauvre cordonnier de Gori, jusqu'à la prise du pouvoir par les bolcheviks en octobre 1917. Pour l'auteur, Staline apparaît comme un « être exceptionnel » dès sa prime jeunesse. Sur ce point, on ne peut que le suivre. Trotski n'avait rien compris en proclamant, avec mépris, que son principal rival politique n'était qu'un provincial médiocre et gris. À la fois intellectuel, bandit-gangster n'hésitant pas à payer de sa personne, et stratège politique devenu maître dans l'infiltration des services de l'Okhrana, la police politique tsariste (dont il ne fut jamais un agent, démontre Montefiore, mettant définitivement fin à une légende tenace), le jeune Staline avait tout pour se forger un destin hors du commun. Le portrait que brosse l'auteur fait précisément ressortir les multiples facettes du futur dictateur, marqué à la fois par ses origines très modestes, son passage au séminaire, et la violence de la rue. Une violence qui combine, dans cette région excentrée de l'Empire tsariste qu'est le Caucase, à la fois la violence « moderne » de l'industrialisation capitaliste et la violence « traditionnelle » du banditisme, de la vendetta et des codes d'honneur d'un peuple résistant à la russification et à l'autocratie tsariste. Le jeune Staline se gorge de violence ; celle-ci le fascine. Mais il est aussi poète à ses heures, et portera, toute sa vie, un intérêt à la littérature. Montefiore retrace – après Tucker – les différentes étapes de l'engagement politique de Staline dans le milieu si particulier des « marxistes caucasiens ». « Marxiste pur et dur, d'une ferveur quasi islamique » (sic), Staline ne conçoit pas la politique sans la violence, voire sans terrorisme. Pour lui, politique et terrorisme sont inséparables. Et il ne s'agit pas d'un terrorisme intellectuel (comme celui pensé par Lénine), mais bel et bien d'un terrorisme au sens propre du terme, un terrorisme qui doit semer la terreur et la mort par les armes. Staline est un véritable chef de bande, un chef-bandit, qui porte en permanence une arme sur lui et en fait usage pour tuer. C'est bien cette violence, cette brutalité, mêlée à une capacité à manier la dialectique marxiste, à penser les questions nationales, dont Staline devient l'expert dans les milieux bolcheviques, qui séduit Lénine, fasciné par le « merveilleux Géorgien ». Montefiore excelle dans son analyse du « cloaque de la duplicité et de l'espionnage » qui envahit les milieux révolutionnaires caucasiens, infiltrés par l'Okhrana, et où Staline se meut avec aisance, déjouant les pièges et les provocations, passant maître dans l'art de la konspiratsia[...]
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Écrit par
- Nicolas WERTH : directeur de recherche au CNRS
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