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LE JOUR SE LÈVE, film de Marcel Carné

Un film démoralisant

Titré comme une chanson, Le jour se lève s'apparente à un quatuor à cordes jouant en sourdine, Carné ayant demandé aux acteurs de retenir leur voix : il est possible qu'il ait été influencé par Gueule d'amour (1937), de Jean Grémillon, où Gabin passe d'une voix timide et retenue à une voix hurlée. Un critique de cinéma de l'époque titrait son article : « Après le film muet et le film parlant, le film chuchoté ». Doux et quasi féminin, puis rageur quand il est confronté au personnage ambigu de Valentin, François enrichit le film avec un rôle à contre-emploi. Arletty, sobre, trouve ici son meilleur rôle avant celui de Garance dans Les Enfants du paradis, et le moins alourdi en « pittoresque parisien ». Jacqueline Laurent est l'ingénue qu'on attend, et Jules Berry reprend ici en finesse un rôle qu'il a déjà joué et jouera encore, celui de la canaille cauteleuse qui « embobine » ses victimes avec ses phrases et ses mots choisis. C'est la première fois qu'il joue chez Carné, lequel en fera le Diable en personne dans Les Visiteurs du soir.

Le jeu sur le temps, une idée due à l'auteur du scénario d'origine, Jacques Viot, enchâssant une histoire au passé dans une situation au présent qui a sa propre progression fatale, est remarquablement orchestré dans le film. Au présent, cependant que François attend sans se décider à se rendre et remâche le passé, le temps s'écoule, inéluctable, réel (ce que signifie le titre), et au passé, il est encore plein d'ellipses, d'ouvertures et d'espoirs. La musique à peine thématique de Maurice Jaubert assure admirablement la liaison entre les époques. Intense et sombre, elle renonce au pittoresque des javas populaires et des valses musettes qu'on entendait dans Hôtel du Nord (1938), et Quai des brumes – ce qui une fois encore rejoint l'esprit du Kammerspiel, dans lequel on se gardait souvent de planter une atmosphère trop située géographiquement et culturellement.

Du Kammerspiel vient également le soin apporté au décor de la chambre de François : ours en peluche, photos, boyau de vélo. Carné a voulu que cette chambre, où le héros attend la fin et ressasse son passé, soit un décor absolument clos, des quatre côtés, au lieu d'être, comme souvent, ouvert sur un côté.

Sorti à la veille de la guerre, le film est interdit en France durant l'occupation, comme démoralisant, mais il est montré dans le monde entier, où il impressionne beaucoup de cinéastes japonais et suédois. Crise (Kris, 1946), le premier film d'Ingmar Bergman, sera profondément influencé par Quai des brumes et Le jour se lève.

— Michel CHION

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Écrit par

  • : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III

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Autres références

  • CARNÉ MARCEL (1906-1996)

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    • 1 495 mots
    • 2 médias
    Le jour se lève s'impose avec les ans comme la réussite la plus parfaite de Marcel Carné. Le récit par retours en arrière imaginé par Jacques Viot charpente admirablement la trame criminelle, que Carné mène à son terme inexorable avec netteté et rigueur, grâce à l'aide, encore une fois, d'une distribution...