LE LAMBEAU (P. Lançon) Fiche de lecture
Le 13 novembre 2015, Philippe Lançon est à New York. Gabriela, sa compagne, l’informe que des attentats viennent d’avoir lieu à Paris, écho de ce qu’il a vécu le 7 janvier de cette même année au siège de l’hebdomadaire Charlie Hebdo.
Critique littéraire et chroniqueur, il est en effet l’un des rares survivants de la tuerie commise ce jour-là par deux terroristes. Une balle a détruit sa mâchoire inférieure. Les assassins ont procédé comme « un éléphant méthodique dans un magasin de porcelaine ». Auprès de lui gisaient ceux avec qui il riait et échangeait un instant avant : Bernard Maris et Wolinski. Un débat sur Soumission, le nouveau roman de Houellebecq, les opposait. Et Lançon montrait à Cabu des photos du jazzman Elvin Jones, tirées d’un livre qui l’a en partie protégé des balles.
Connaissance par les gouffres
Conduit à la Salpêtrière, Philippe Lançon devra passer à de nombreuses reprises au bloc et vivre là sous surveillance policière, avant d’être transféré à l’hôpital des Invalides pour une lente et difficile rééducation. Un monde a disparu : l’attentat, en effet, « dissout toute tentative de retour en arrière. Il est l’avenir qu’il détruit, le seul avenir, sa seule destruction, et tant qu’il règne il n’est que ça ». C’est précisément ce no man’s land, que Lançon va explorer pendant l’année qui va suivre, qui fait la matière du Lambeau (Gallimard, 2018), auquel ont été attribués le prix Femina et le prix « spécial » Renaudot. L’auteur se fait ainsi « reporteur et chroniqueur d’une reconstruction », en décrit les effets dans la vie quotidienne, avec les proches, et auprès de tous ceux, personnels hospitaliers, médecins qui le soignent et policiers qui le protègent. Le livre montre aussi comment l’auteur traverse ces épreuves grâce à la relation très forte qui l’unit à sa chirurgienne, aux amis, et à l’art. Comme il le dit à un aumônier qui a voulu le rencontrer, « ma seule prière passait pour l’instant par Bach et Kafka : l’un m’apportait la paix, et l’autre une forme de modestie et de soumission ironique à l’angoisse ».
Enfermé dans la chambre, longtemps incapable de parler, Philippe Lançon ne peut communiquer qu’au moyen d’une ardoise. En ce lieu construit sous Louis XIV, il se voit comme « un petit roi impuissant, immobile et improvisé ». La souffrance physique et les difficultés concrètes rencontrées provoquent des insomnies. Ses sensations en sont exacerbées, son sens de l’observation accentué. Il devient un « envoûté du concret ». Avant la greffe qui devra consolider sa mâchoire, il est inquiet : « Je craignais de changer de peau, de souffrance, de mémoire, de vie. » Les autres greffes successives se révéleront autant de moments délicats.
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Écrit par
- Norbert CZARNY : professeur agrégé de lettres modernes
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