LE LIVRE DES JOURS, Taha Hussein Fiche de lecture
Lorsqu'il publie la première partie de ses Mémoires, en 1927, Taha Hussein (1889-1973) traverse une passe difficile dans une existence très tôt marquée par l'adversité : à trois ans, une ophtalmie mal soignée l'a privé à jamais de la lumière dont il garde un pâle souvenir, évoqué dans l'admirable ouverture du Livre des jours. Pourtant, le destin semblait enfin sourire au jeune professeur de l'université du Caire devenu, après ses études à la Sorbonne, une figure importante de la scène intellectuelle. Dans une Égypte en pleine effervescence nationaliste, le feuilletoniste du journalAl-Siyāsa est admiré autant que redouté pour la vigueur de sa plume. C'est alors que Taha Hussein livre au public un ouvrage qui provoque une tempête jusque sur les bancs de l'Assemblée nationale : Sur la poésie antéislamique (1926). Depuis son séjour en France, sa profonde passion de l'héritage classique arabe s'accompagne du credo scientifique moderne : observation et expérimentation, sur fond de doute cartésien. Une méthode qu'il n'hésite pas un seul instant à appliquer à un des legs les plus sacrés de la culture arabe, la poésie antéislamique, pour mettre en cause son authenticité ! Avec le soutien de ceux que choque sincèrement pareille thèse, envieux et malveillants s'associent pour faire chasser de l'université un esprit aussi dangereux. Une instruction judiciaire est lancée dont l'issue est encore incertaine.
Cet homme qui n'a même pas quarante ans entreprend alors le récit d'une vie qui est pourtant loin d'être achevée. Un premier récit de 1927 sera prolongé douze ans plus tard, dans une atmosphère beaucoup plus sereine, par un deuxième volume (le troisième, qui n'est pas repris dans l'édition française, sera publié en 1955).
Une autobiographie douce-amère
La première partie du Livre des jours se déroule dans le petit village de Haute-Égypte que Taha Hussein ne quittera qu'à l'âge de treize ans, pour poursuivre ses études à al-Azhar. Un départ dont on comprend l'importance en découvrant une enfance placée sous le signe de la perte et de la douleur : au départ, la cécité, qui condamne l'enfant à un orgueilleux repli sur lui-même, puis la mort qui emporte la petite sœur, bientôt suivie par son frère aîné. Deux épisodes dramatiques que le récit de l'adulte qui se penche sur son enfance associe dans une même détestation de l'ignorance et de la soumission à la fatalité. Une ignorance qui reste le maître mot de la vie ordinaire dans ce village, avec son cortège de péripéties souvent tragicomiques à travers lesquelles l'auteur nous fait suivre l'itinéraire de ce petit garçon qui apprend à ruser avec la vie, à surmonter ses faiblesses pour ne pas se soumettre à l'hypocrisie des adultes.
Évoquée dès l'ouverture du Livre des jours à travers la voix du barde villageois dont on prive l'enfant pour l'obliger à aller se coucher, la magie des mots est une lumière qui finira par dissiper les ténèbres : « Il n'a pas oublié non plus qu'il aimait à sortir, une fois le soleil couché, quand les gens prenaient le repas du soir, et à s'appuyer sur les roseaux, tout pensif et abîmé dans sa rêverie, jusqu'au moment où il était rappelé au sentiment de ce qui l'entourait par la voix du poète errant, qui s'asseyait à une certaine distance vers la gauche, vite entouré de passants auxquels il chantait des mélopées d'une douceur étrange. » Ainsi, après l'apprentissage du Coran, une étape presque obligatoire pour un petit aveugle à cette époque, le premier volume se referme alors que l'enfant se rend au Caire. Terriblement déçu par la pauvreté intellectuelle du milieu qu'il découvre, miné par une vie de privations perpétuelles, l'adolescent serait sur le point[...]
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Écrit par
- Yves GONZALEZ-QUIJANO : maître de conférences à l'université de Lyon-II-Lumière, chercheur associé au Gremmo-Maison de l'Orient
Classification
Autres références
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TAHA HUSSEIN (1889-1973)
- Écrit par Sayed Attia ABUL NAGA
- 1 428 mots
...Mais c'est surtout à travers son œuvre romanesque, classique par l'élégant dépouillement de son style, et à travers son autobiographie, le célèbre Livre des jours (Al-ayyām, 2 vol., 1927-1939), traduit dans une vingtaine de langues, que l'on peut saisir la personnalité de Taha Hussein. Cette autobiographie...